Courbet, outre-monde

Essai prononcé en conférence au XVe colloque annuel de la Society of dix-neuviémistes, le 10 avril 2017, Kent University, Canterbury


Au centre optique de nombreuses peintures de Courbet, il y a le noir ; absolu. Le rien du visible ou le tout de matière ; un gouffre qui attire l’œil vers ce qu’il va expulser : le visible ; qui attirant l’œil nous expulse du visible. Ce noir, source et tombe, s’ouvre ou se ferme en un lieu qui signe l’origine et la fin de son art.

Le lieu, l’origine, est sans doute prédéterminant de ce noir symptôme : qui travaille le visuel est d’emblée travaillé par lui, et ce dès l’enfance. L’environnement paysagé est primordial, pour celui qui, né en 1819, vivait en campagne franc-comtoise, même si le statut bourgeois de sa famille, propriétaire des terres de Flagey, lui ouvrait les quelques demeures patriciennes d’Ornans, la plaine et la société de Besançon et, plus lointaine, les potentialités urbaines et artistiques de Paris. « Pour peindre un pays, il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins. Les sous-bois c’est chez nous ; cette rivière, c’est la Loue, celle-ci c’est le Lison ; ces rochers ce sont ceux d’Ornans et du Puits-Noir. Allez y voir, vous reconnaîtrez tous mes tableaux1 ». De Besançon, aller à Ornans2, dernier bourg le long du val de la Loue, où ensuite tout est encaissé, c’est franchir collines et plateaux en enfilade, avec toujours l’impression que, la route sinueuse montant, Ornans sera au creux du prochain trou. Le parcours traverse sombres forêts de sapins et denses feuillus, débouche sur le vert gras des prairies et se heurte à la blancheur des falaises calcaires. Quelques fermes et masures, quelques troupeaux, blottis dans les creux, donnent préscience qu’arriver à Ornans sera entrer dans une caverne. Alors, est-on surpris, une fois arrivé, de trouver le bourg dans un site qui paraît relativement ouvert, non pas enfermé, mais lové entre les falaises, courant le long d’une Loue plus large qu’imaginée, aux flots moins profonds et agités que conçus. Son bourg, Courbet l’a pourtant peu peint (l’église, le château, vus de l’extérieur de la cité, le moulin, à sa marge), préférant monter sur les plateaux alentours, ou longer en amont la Loue, le Lison ou la Brême, jusqu’au Puits-Noir ou jusqu’à leur « source3  ». Cette plongée dans les vals étroits, fermés de rocs, troncs et feuillages où sans recul le monde se donne à peindre, est au centre de la dernière grande peinture mondaine de Courbet : L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique (1855, Musée d’Orsay, Paris).

Dans son Journal, en peintre, Delacroix, admiratif de ce manifeste exposé en entrepreneur indépendant4, remarquait que : « la seule faute est que le tableau qu’il peint fait amphibologie5 : il a l’air d’un vrai ciel au milieu du tableau6 ». Dans L’Atelier, Courbet se montre comme enfermé en une cave sans recul7. Il s’y abîme, avec ses amis, relations et souvenirs et nous fait entrer dans son gouffre. Nulle ouverture n’est présente, hors l’éclairage qui frappe le paravent et le propose comme porte trompeuse. Si une lumière semble provenir de l’avant scène, il reste difficile d’y concevoir une fenêtre. L’éclairage est en effet plus allégorique que naturel, frappant la nudité du modèle, le drap qu’elle tient et sa robe chue, alors que les autres zones d’éclairement ou d’ombres portées sont sans commune mesure avec la luminosité qui frappe la modèle de blancheur8. Au fond de cette abîme, les seules ouvertures semblent être les peintures : des paysages, et celui qui domine est en travail sur chevalet au centre de l’image – non seulement au centre de sa surface mais aussi de sa faible profondeur. C’est un fond de vallée, dont le creux se situe à gauche, là où le peintre, figuré assis au côté de la toile, porte son pinceau, geste soutenu par la diagonale d’un massif forestier qui descend du coin supérieur droit du format qu’il peint.

Le centre géométrique de L’Atelier tombe sur la frondaison dorée du plus grand arbre du tableau peint. Le centre du tableau dépeint dans cet atelier est derrière la manche du bras tendu de l’artiste et figure, sur cette peinture qu’il peint, un fossé noir. Au bout du bras tendu de Courbet, un pinceau achève la lisière obscure du plus lointain des bosquets verts, là dans le creux. Ce point fixe le centre d’attention, pinceau ou main, où se croisent les regards du peintre, de l’enfant, du modèle et, le « regardant » depuis son revers, du mannequin supplicié9, comme capable de passer le trou noir du point de fuite - vanishing point10. Ce point d’où tout semble apparaître, déjà là, et où tout disparaît, encore là, est le lieu d’où pourrait surgir, ou disparaître quelque rivière, et que seul le groupe central considère. Aucune autre figure ne regarde la peinture en travail : ni à gauche en son envers, « le monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort » ; ni à droite en son endroit, « les amis, les travailleurs, les amateurs du monde de l’art ».

Ainsi cette « histoire morale et physique de mon atelier [… qui] sont les gens qui me […] soutiennent […], qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C’est la Société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot, c’est ma manière de voir la société dans ses intérêts et passions. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi11 », un monde ignorant totalement le peintre et son travail, sa peinture et sa recherche12. La mondanité, triviale ou cultivée, pauvre ou riche, les amateurs du monde de l’art même ignorent ce que fait le peintre. L’activité de Courbet leur échappe et Courbet, de son profil « assyrien », de même : comme si le sujet de L’Atelier n’était pas la société. Dans son haut, à droite, chacun est venu se faire peindre socialement pour faire libre étalage de son apparence, comme pour se donner à voir en une conversation de salon où personne ne dialogue avec ni ne regarde personne ; cette société n’apparaît pas concernée par la recherche de l’artiste. Dans son bas, à gauche, tous ont été pris en peinture, captation réalisée comme à leur dépend, livrant la misère de chacun, replié en son ignorance, retiré sur lui-même, des autres et quasi de soi-même. Cette société n’a ni intérêt ni passion13, la cultivée trop préoccupée de soi, la miséreuse totalement privée de soi. En son milieu, Courbet a sa manière de voir la société : l’ignorer et peindre un pur paysage, assez semblable à la ceux de la série des Puits-Noir. Détourné du monde, le corps de l’artiste est montré peignant, étrangement de profil et très au devant sa toile, comme collé ou confondu au paysage peint, dans une proximité invraisemblable14. Courbet fait corps avec son tableau en travail et son corps se fond au motif paysagé.

C'est l'histoire morale et physique de mon atelier, première partie », écrivait Courbet à Champfleury pour lui décrire son Atelier […] déterminant une phase de sept années de ma vie artistique. A savoir qu’après cette phase de sept années commençait une nouvelle phase, « seconde partie », dont Courbet en 1855 ne parle pas15. Une phase « hors du monde » et de ses discours que le corpus pictural exemplifie : dès lors, il y aura peu de grandes machines de Salon, tels que furent L’Après-dînée à Ornans (1849, Musée des beaux-arts, Lille), Le Tableau de figures humaines, historique d'un enterrement à Ornans (1850, Musée d’Orsay, Paris), La Toilette de la morte (1850-55,

College Museum of Art, Northampton) ; de rares visions socialisantes, tels que l’ont été Les Casseurs de pierre (1849, détruit), Les Cribleuses de blé (1854, Musée des beaux-arts, Lille) ou Paysans de Flagey revenant de la foire (1850, Musée des beaux-arts, Bezançon)16 ; quelques portraits sociaux et un autoportrait17. Restent surtout des femmes endormies, en état de second ou de somnolence18, et le thème du paysage, qui va se développer tout en s’enveloppant. Ainsi, les paysages d’avant 1855 offrent des vues larges, des plateaux en dessus d’Ornans, offerts par les dégagements du Château d’Ornans ou Fontaine d’Ornans, Bassin aux vipères (1850, The Minneapolis Institute of Arts), de La Vallée de la Loue par ciel d’orage (1849, Musée des beaux-arts, Strasbourg), des Demoiselles du village (1852, Metropolitan Museum of Art, New York) ou de La Rencontre (1854, Musée Fabre, Montpellier) ; ceux d’après 1855 ne vont plus jamais ouvrir cette vue large, perspective, sur le monde. Il semble se déterminer à cette date une vision qui de mondaine19, « sur les plateaux », fait plonger Courbet sous ces plateaux, en retrait du monde. Prémisse : déjà en 1850, Le Tableau de figures humaines, historique d'un enterrement à Ornans, marque une limite entre dessus et dessous. La vue est située à peine au-dessus du nouveau cimetière, placé en haut du bourg, comme pour mieux présenter frontalement les falaises de la Roche du Mont en horizon, laissant la foule, l’entier des gens qui font et assistent au monde, sous cet horizon, comme enterrés par lui20. Ce monde que L’Atelier de 1855 encave serait-il avec son paysage l’ouverture de la « seconde partie » parfois vue comme un déclin21 ou la fin de la période de la persée réaliste22. Cet enterrement du réalisme en mondanité appelle-t-elle autre chose ?

Avec le paysage de L’Atelier du peintre, nous avons été précipités des plateaux mondains dans une abîme autre, proche des cours d’eau de la Loue, de la Brême et du Lison23. Et là au fond, quelque chose nous est donné à puiser : les vues du Puits-Noir, outre le nom du lieu, manifestent toutes une tache aveugle au centre de l’image, renforcée par les lignes des frondaisons, des troncs, des rocs et ravins qui y tombent. La rivière déborde du seuil de l’image, nous installant au milieu du cours d’eau dont il est difficile de savoir si de là, il descend ou monte, se perd dans le creux de la gorge

ou en vient24. Seul signe du courant, dans la massivité bleu-vert brunâtre, sombre et presque noire de l’eau, quelques éclats blancs des remous, sont le plus souvent en aval des pierres sur lesquels le flux accroche. Si ces éclats sont visibles, c’est que sous l’obscurité des frondaisons, perce quelque lumière, devenue diffuse. L’éclairage est plus net sur les parties hautes, marquant un tronc, un feuillage, un pan de falaise d’une grasse clarté. Le soleil, assez haut dans le ciel, est toujours hors image, à gauche ou à droite, mais en son fond, précipitant le val en un presque contre-jour. Son disque absent fait exister d’une lumière chaude, presque dorée, la visibilité, jusqu’à ce que falaises, feuillages, troncs abîment ce visible dans le noir. A moins que ce noir, sorti de nulle part, engloutisse de lui-même la lumière, tel dans la version du Baltimore Museum of art ill.1. Le Ruisseau couvert ill.2 confirme cette impression : le noir semble manger la lumière, vouloir se répandre en spirale centripète, et de son centre avaler l’intégralité du monde visible. Seul au premier plan en bas à droite, un roc sur lequel se tient un long tronc décharné semble résister ; comme échappe encore à l’arrière plan, symétriquement en haut à gauche, la frondaison éclairée. Le Ruisseau de Plaisir-Fontaine dans la vallée du Puits-Noir ill.3 prend de même le visible en tenaille dans





la fissure noire des frondaisons, qui descendent obliquement vers la gauche, libérant dans leur creux la claire visibilité de l’eau qui d’une oblique symétrique coule vers la droite. Le regard, suivant ce cours, heurte un rocher pour mieux replonger dans un creux noir, sous lequel s’affirme la signature de l’artiste. Courbet, dont on sait qu’il commençant ses peintures par le noir, semble s’évertuer à créer, par force de bruns, verts sombres, plus clair, pâles bleus et blancs, un visible qu’il destine au retour dans le noir. Comme s’il ajoutait masse de couleur sur masse de couleur pour, cumul de matière visible sur cumul de matière visible, destiner toute cette matérialité à l’invisible. « Ainsi le passage du sombre au clair est-il […] le négatif de l’impression du spectateur qui devant la toile croit remonter de la clarté des surfaces jusqu’à l’obscurité origi-nelle25 ».


Origine et fin alternent, selon les versions, indiquant qu’elles se donnent pour même, sortant ou rentrant de ces noirs quasi omniprésents au centre géométrique ou optique des peintures paysagères de Courbet. L’œil du peintre comme du spectateur s’y engouffrent, dans un regard menacé par la force des choses, leur noire pesanteur. Cet écrasement affecte de nombreux paysages : il est deux promeneurs, passant un pont bien au dessus de nous, pour franchir la cascade du Gour de Conches ill.4 où le blanc minéral de l’eau jouxte le centre noir du creux de roche. Ce trou noir peut être creux ou bosse. Ainsi, face à la massive frontalité du Chêne de Flagey ill.5, le regard se heurte-t-il au tronc d’un arbre qui « sature le champ, le remplit bord à bord et […] le déborde26 ». Centré, le tronc est éclairé de la droite et ouvre dans toute sa rudesse le milieu de la toile en béance obscure. De cette droite, un minuscule chien course un lièvre situé de l’autre côté du tronc. Il semble prêt de se heurter contre cette masse en béance immobile, et en paraît ridicule, fragile devenir qui va se heurter contre le tronc du chêne. Bien souvent, le vivant ou les lieux de vie se précipitent ou s’encastrent dans des masses ou abîmes noires.




Le Paysage avec rocs près d’Ornans ill.6 présente un ciel qui au sol se mire dans quelques flaques, appel bleu ouvert. Le clair pan des pierres d’une bergerie s’appuie sur un roc dont la crête descend en oblique de gauche à droite sur un feuillage d’or. Entre bleu, gris clair et ocres lumineux, s’ouvre la béance noire de l’ombre, qui enserre la masure. Le Doubs à la Maison Monsieur ill.7 et Le Rocher à Bayard, à Dinant ill.8 encastrent de même les habitats dans le sombre, qu’il soit ombre des feuillage ou défilé de rocs.

Masse ou abîme, ce lieu noir peut être géométriquement centré ou non, se déportant en un centre optique où chaque fois le regard est attiré. Le Paysage de Chauveroche dans


les Vaux d’Ornans ill.9 équilibre le parallélépipède vertical de la tour rocheuse qui se découpe à gauche et le rectangle horizontal de la falaise qui le poursuit, comme si l’un était le basculement de l’autre. Amplifiant cet effet, la séparation de l’ombre et de la lumière agit comme un axe oblique entre les deux blocs clairs. Symétriquement, l’alignement du sommet de la tour et du décrochement de la falaise trace jusqu’à un peuplier qui se dresse, en bas à droite, dans le creux du terrain. Et la pointe de ce peuplier s’affiche sur une aire noire où le regard s’égare, déporté avec un sentiment de basculement. La Roche pourrie, étude géologique ill.10 suit un même schème visuel, dramatisé : l’architecture de deux pylônes unis par un pont surmonte une barre rocheuse grise inclinée et effondrée en sa moitié. La brisure verticale tombe sur un cône herbeux mêlé de caillasses, surplombé d’une autre falaise, brune et molle, qui s’affaisse sur elle-même. Ce ploiement mène aux gouffres noirs qui s’ouvrent sous les caillasses dispersées sur un cône herbeux. Sous le poids, ce cône glisse vers les deux coins inférieurs de l’image, où gît le noir. Si le pont minuscule nous donne l’illusion d’un vol léger, nous sommes déjà ensevelis, écrasé, par l’effondrement. Le Paysage de rocs avec figureill.11 porte en son centre la saillie d’un roc en surplomb, qui pourrait se


détacher du reste de la falaise, tel que marqué par la fissure noire qui l’en sépare ; mais aussi par le poids des bosquets obscurs qui surmontent les roches, et encore au-dessus un autre roc, à peine éclairé d’une lumière qui filtre du ciel lourd. Sous la saillie du roc en surplomb, une masse noire attire le regard dans le gouffre qui s’ouvre en creux rond, et au bord de son abîme, vers un personnage au gilet beige sur blancheur de chemise, de dos, regardant comme nous le gouffre. Assis, minimisé et obscurci, il se repose de quelque éprouvante marche ou labeur, tourné vers l’obscur, comme insouciant du roc en saillie qui pourrait se détacher, et sur lui tomber.

Basculement et chute dans un regard annihilé, on, artiste et spectateur, tombe, tel que l’annonçait Le Fou de peur (1843-45, Nasjonalmuseet, Oslo), évidence de précipice, maintenant à sa place et non plus dans le miroir de représentation, aussi proche soit-il. Inachevé, le tableau laisse la peinture s’écouler, en plaque massive, dans le gouffre centré au seuil de l’image27. Et même béance, il y a évidemment la tombe de L’Enterrement à Ornans qui s’ouvre au devant de l’espace de représentation, plaçant l’artiste comme le spectateur dans un virtuel trou noir28. Ce qui n’est pas tout : sous l’horizon, pressée par la masse des falaises trop proches, la foule, « mur solide de pigment noir29, comme déjà absentée dans ce noir, oscille, et semble devoir être en instance de sombrer dans la tombe. Cette foule cachant le creux du val de la Loue, que resterait-il sous les falaises, si elle disparaissait, une image du néant ? Est-ce la mort ? La mort du sujet, qu’il soit représenté (image), représentant (peintre) ou devant la représentation (spectateur) ? La fin du regard ?

La réception contemporaine à Courbet en fut part persuadée, l’accusant soumis au procédé technique de la daguerréotypie : machine aveugle qui « sans volonté, sans goût, sans conscience, se laisse pénétrer par l’apparence des objets quels qu’ils soient, et en rend mécaniquement l’image. L’artiste, l’homme, renonce à lui-même ; il se fait instrument, il s’aplatit en miroir, et son principal mérite est d’être bien uni et d’avoir un

bon tain30 ». Ainsi, « il faudrait remplacer la brosse et le pinceau par la chambre noire et le daguerréotype31 », chambre noire qui constitue une « froide image du néant32 », et l’idéal de la vision picturale se réduirait à « un daguerréotype promené par un aveugle33».

A quoi on peut laisser Courbet répondre : « cela vous étonne que ma toile soit noire ? La nature, sans le soleil, est noire et obscure ; je fais comme la lumière, j’éclaire les points saillants, et le tableau est fait34 ». Ces saillies, il les réalisait en  prenant «  son couteau dans une boîte où étaient des verres remplis de couleurs, du blanc, du jaune, du rouge, du bleu. Il en faisait un mélange sur sa palette ; puis, avec son couteau, il l’étendait sur la toile et la raclait d’un coup ferme et sûr35 ». Ou, témoignage semblable : « il fait grand usage du couteau à palette qui dépose la couleur sur la toile avec une franchise éclatante et brutale, tandis que les poils du pinceau creusent de petits sillons où la lumière vient s’émousser et s’éteindre36 ». Ainsi ces saillies, écrasées par la massivité des empâtements menacent toujours de s’effondrer sur elles-mêmes, de partir en creux, au revers, dans l’obscur gouffre originel de son noir fond pictural. « Je veux tout ou rien37 » : comme la lumière, Courbet éclaire, s’assimile au soleil, se rend co-présent de la visibilité qu’il peint, et travaillant la masse picturale, en ce qui résiste à la lumière, fait ombre, Courbet fusionne avec la matière, se garde co-absent dans la matérialité des choses. Et il en est de même du spectateur : il voit, présent à ce qu’il regarde, mais devant scruter le noir, s’engouffre, disparaît, absent dans le regardé. Ne reste qu’une sensation d’épuisement : tant d’énergie pour échapper de la condition originelle d’un rien, tout avoir et revenir au point d’origine, tant de travail pour rien ou pour la mort : « travailler c’est dépenser sa vie ; travailler en un mot, c’est se dévouer, c’est mourir […]. L’homme meurt de travail et de dévouement38 ».


Vivre : naître pour mourir ?



Mourir, les scènes animalières et de chasse en sont le brutal témoignage. Mort directement mise en scène dans la blancheur de la masse affalée du Cheval mort ill.12 surmontée de la béance noire de la forêt où fuit un homme transportant, quoi, un paquet, un enfant ? Quelque drame peu lisible a eu lieu. Mort moins directement montrée dans Le Cerf à l’eau, Chasse à courre ou Le Cerf forcé (1861, Musée des beaux-arts, Marseille) qui, invisiblement poursuivi, se jette à l’eau en ouvrant, dans un râle, la béance noire de sa bouche. Mort sous-entendue dans Le Rut de printemps ou Combat de cerfs ill.13 non moins violent : le rythme des troncs, qui sépare le duo combattant de l’esseulé bramant, tombe, entre eux et au centre sur une zone sombre qui engloutit les trains arrières des bestiaux. Plus paisible, La Remise des chevreuils, au ruisseau de Plaisir-Fontaine ill.14 s’ouvre sur un fond clair, comme pour mieux enfoncer dans l’obscurité le cervidé qui, sur la droite, descend rejoindre le ruisseau.


Le Paysage de neige dans le Jura, avec chevreuil ill.15 affirme le même calme, soutenu par les blancs travaillés de bleus et de roux pâles de la neige. Pourtant, la déclivité du terrain, sur laquelle pèse un feuillage vert sombre et roux affirmé, forme une gorge qui mène au chevreuil, puis au coin inférieur gauche au noir d’un lac. Malgré que le calme de l’animal assis au repos, un négatif pressentiment pèse. Les Cerfs dans un paysage neigeux ill.16 viennent renforcer l’impression : le même lac noir, le couple animalier tournant la courbe d’un enfoncement sombre, et sur la gauche tout le poids de massifs roches et broussailles écrase la scène. La même oblique sombre menace le fier cervidé du Paysage d’hiver, La Gorge aux loups ill.17. Il semble ne plus avoir que deux possibles destins, une patte avant lancée, l’autre à l’arrêt : devant, plonger dans l’eau et s’y noyer ou, derrière, s’engouffrer dans les creux des roches et dans le noir disparaître. Participe du malaise le fait que, présentés comme vivants, les modèles animaliers utilisés par Courbet sont en réalité des cadavres39 ; et que la sensation de coprésence du peintre et de l’animal, du spectateur et des scènes exacerbe l’absence de l’un ou de l’autre. En un temps ou ni les téléobjectifs, ni la sensibilité des supports daguerréotype ne


peuvent capter des scènes animalières, les constructions peintes de Courbet fusionnent en atelier animal naturalisé et rendu paysagé dans un système de présence négative. Les animaux sont des observations de cadavres, rendus vifs ; peints de mémoire, les paysages sont des reconstructions mortes.Une fois la fiction constructive acceptée, reste une négativité logique : observer de si proche les animaux est impossible. La présence de l’animal induit l’absence de l’artiste, et du spectateur ; la présence de l’artiste, ou du spectateur, induit l’absence de l’animal. La coprésence n’est qu’illusion. La présence de l’un détruit celle de l’autre, l’engouffre, comme l’avalant. Autant que les scènes, c’est cette structure de présence-absence qui fait drame. Après le drame40, restent ces misérables Truites de la Loue. Celles d’Orsayill.18 et de Zürich ill.19 gisent symétriquement dans l’anfractuosité d’un rocher qui semble les avaler. A cette gueule rocheuse répond la gueule ouverte des poissons qui laisse voir l’hameçon et le fil de pêche. Sur la version de Zürich, la prise est affirmée  par la maxime in vinculis facibat qui suit la signature rouge de l’artiste. Des branchilles sort un sang rouge, comme un rappel de L’Homme au cœur blessé (1844-54, Musée d’Orsay). Deux des Trois truites ill.20 de Berne sont suspendues à des branches, la troisième


comme saisie alors qu’elle venait de se décrocher, dorsale encore dressée, tête s’affalant sur un sable ocre. Derrière, entre les poissons crochés et celui qui déchoit, s’affirme un noir absolu. Alors que vive, lisse et gluante, la truite glisse et échappe, ici morte, scellé est son destin : « ce poisson formidable, aux écailles de roc, semble reposer au fond des eaux vierges des âges préhistoriques », « un monde énigmatique des profondeurs [atteignant] l’ordre du mythique, voire du monstrueux41 ». Saturne ?

Saturne dévorait ses enfants et avec eux l’être et le temps du monde42. Dévoration dont Courbet inspirera, par ses manières de table et par sa maladie qui le rendait toujours plus amplement difforme43, des témoignages légendaires : « […] le corps du peintre pouvait être naturellement vu comme gorgé de la matière du monde – laquelle, quelques temps plus tard, se métamorphosa en sa décomposition immonde dans la célèbre diatribe d’Alexandre Dumas fils […] : de quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelle antithèse génésiaque, de quel suintement sébacé peut avoir été généré par exemple, cette chose qu’un appelle M. Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore, cette incarnation du Moi imbécile et impuissant ? […]. Camille Lemonnier cultive avec emphase cette représentation : […] on dirait un Gargantua aux appétits énorme, vautré dans le giron de la terre nourricière. Il a la double vue de l’estomac […]44 », bouche et anus45.

Saturne46 est aussi le dieu grec Chronos, fils de Gaïa (terre) et d’Ouranus (ciel) ou d’Hydros (eau) ; ou né du néant, uni à Ananké (la nécessité) ou à Nyx (la nuit). De cette union proviennent Chaos, Ether (air) et Phanès (jour, procréation et nouvelle vie – assimilé à Eros)47. Tant d’entités qui sont matières des paysages courbésiens : terre, eau, néant, nuit, chaos, air, jour. Ecoutons Courbet : « suivez cette comparaison. Nous sommes enveloppés par le crépuscule du matin, avant les premières heures de l’aube : les objets sont à peine perceptibles dans l’espace ; le soleil monte ; elles s’illuminent par degrés et s’accusent enfin en toute plénitude. Eh bien, je procède dans mes tableaux comme le soleil agit dans la nature48 », et l’interprétant : « la lumière fait briller,

révèle ces grandes masses sombres dont l’obscurité sous-jacente, le noir, comme dirait Courbet, exprime la profondeur, la vie sourde. La nature […| n’est ni le pittoresque ni l’accidenté, mais la conscience de cette troisième dimension des choses dans lesquelles on respire le plus largement, le plus intensément49 ». Lisons bien : la troisième dimension n’est pas le volume, c’est ce noir : l’obscurité, le sous-jacent, la profondeur ; la vie sourde. Il y a la vie, ici première dimension, il y a la mort, là seconde dimension. Et entre mort et vie, il y a la vie sourde, « qui vit de la vie, qui vit de la mort50 », troisième dimension. Il y a drame et néantisation des contraires, mais par l’annulation des termes en présence, sourd une a-présence51.

C’est ainsi que collé au côté de sa peinture, sans « reculée », Courbet semble s’y incorporer (y vivre) et y disparaître (y mourir), a-présent. Notons ici, et pour répondre aux interprétations formalistes et prédéterminées par la théorie d’un « drame » de l’anti théatralité52, que pour éclairer ces masses sans en dissoudre la profondeur obscure, pour éclairer les points saillants, le soleil ne peut agir que de biais. Le peintre, qui souhaite faire naître le visible sans faire disparaître l’invisible, travaille ses points saillants qui, picturalement sont des épaisseurs sillonnées (faisant grand usage du couteau à palette qui dépose la couleur sur la toile avec une franchise éclatante et brutale, tandis que les poils du pinceau creusent de petits sillons où la lumière vient s’émousser et s’éteindre). Hors dans la noirceur du fond, saillies et parfois sillons brillent, si et seulement s’ils sont vus de profils. C’est au simple niveau du « faire » que peut être comprise la posture biaisée et déportée sur le côté de Courbet, l’oblique étant la seule manière de voir briller la lumière par degré en révélant les masses obscures. La raison de sa position oblique et collée à la peinture peut maintenant se développer : comme le soleil, Courbet éclaire sans savoir ce qu’il révèle. Il s’infiltre dans un visible qu’il illumine sans voir53, tel le soleil qui éclaire les choses du monde ignorant qu’il les éclaire. La visibilité s’écoule et advient malgré la volonté de l’artiste qui la donne, en esthésie54. Loin d’être la capture frontale et objective de l’aveugle daguerréotype, elle est libérée par une absence subjective, latéralement déportée et confondue à l’espace du visible. Ce n’est pas la mort, la disparition ou l’absence du regard, qui se manifeste, mais une neutralisation du sujet regardant, qu’il soit l’artiste ou le spectateur55.

« Il descendit dans une sorte de cave qu’il avait d’abord crue assez vaste, mais qui très vite lui paru d’une exiguïté extrême : en avant, en arrière, au-dessus de lui, partout où il portait les mains, il se heurtait brutalement à une paroi aussi solide qu’un mur de maçonnerie ; de tous côtés la route lui était barrée, partout un mur infranchissable, et ce mur n’était pas le plus grand obstacle, il fallait aussi compter sur sa volonté qui était farouchement décidée à le laisser dormir là, dans une passivité pareille à la mort. […] La nuit était plus sombre et plus pénible qu’il ne pouvait s’y attendre. L’obscurité submergeait tout, il n’y avait aucun espoir d’en traverser les ombres, mais on en atteignait la réalité dans une relation dont l’intimité était bouleversante.

Sa première observation fut qu’il pouvait encore se servir de son corps, en particulier de ses yeux ; ce n’était pas qu’il vit quelque chose, mais ce qu’il regardait, à la longue le mettait en rapport avec une masse nocturne qu’il percevait vaguement comme étant lui-même et dans laquelle il baignait. […] C’était la nuit même. Des images qui faisaient son obscurité l’inondaient. Il ne voyait rien et, loin d’en être accablé, il faisait de cette absence de vision le point culminant de son regard. Son œil, inutile pour voir, prenait des proportions extraordinaires, se développait d’une manière démesurée et, s’étendant sur l’horizon, laissait la nuit pénétrer en son centre pour en recevoir le jour.

Par ce vide, c’est donc le regard et l’objet du regard qui se mêlaient. Non seulement cet œil qui ne voyait rien appréhendait quelque chose, mais il appréhendait la cause de sa vision. Il voyait comme objet ce qui faisait qu’il ne voyait pas. En lui, son propre regard entrait sous la forme d’une image, au moment où ce regard était considéré comme la mort de toute image56 ». C’est ainsi, pour reprendre Dumas, que Courbet, corps gorgé et imbécile incorpore le visible qui l’enfle, tout en étant avalé par le monde, désormais sans Moi, esprit impuissant – seule sa signature ocre rouge reste un signe de protestation. Toujours trop marquée, elle l’affirme comme ego qui, une fois la toile finie, malgré tout demeure57. Reste que le tableau fini, c’est maintenant le regard du spectateur qui se confronte à cette même expérience pratique.


 

Les dessins de Courbet sont, pour la plupart, révélateurs de cette tension qui, faisant naître l’image, nous précipite dans le creux de l’inexistant, devenu point focal de l’attention à l’apparition. Des Sources du Lison ill.21 au Défilé rocheux dans la vallée de




Lauterbrunn ill.22, le tracé descendant des falaises s’appuie de plus en plus pour, arrivé au bas, se redoubler en lignes dures et serrées qui crochent les détails saillants dans les creux : arbres, pierres, maisonnettes, alors grisés de valeur. Le Creux Billard ill.23 exacerbe cet effet de chute de par ses verticales qui s’appuient au centre de l’image, y soulignant la tombée d’une profonde lézarde ; comme un éclair noir qui fend la roche. Du blanc épars du papier dans la partie haute des dessins, l’œil est tiré vers ces gouffres grisés qui l’attirent à en fouiller le détail. Et plus le regard cherche à y voir, plus la grisaille devient noire. La Dame verte ill.24 ouvre ostensiblement une caverne, qui devient accueil.





Les Promeneurs se reposant sous un abri rocheux ill.25 dispose en rythme de plus en plus dense les figures accueillies, au fur et à mesure de leur recul dans l’obscur de la grotte, au dessin brutalement interrompu par une saillie du roc et le blanc du papier. Pour qui dessine, de tels lieux où la concentration des tracés, des déterminations, paraît créer de l’obscur ne sont pas des lieux de disparition : ce sont des lieux de concrétisation, le nœud où tout débute, lieux de l’apparition, cherchés par le dessin à l’envers. La détermination des troncs dans les Trois paysages de campagne ill.26 se fait par entrelacement des tracés noirs, lesquels peuvent s’ouvrir pour laisser advenir le blanc, lumière et eau, comme dans La Cascade de Staubbach ill.27.


Un dessin plus abouti, le Paysage avec cascade ill.28 donne à la blancheur lumineuse de l’eau un statut d’apparition : elle coule se libérant des rocs sombres qui l’enserrent, de sa vigueur paraît d’elle-même écarter l’inertie de leur emprise.

La parution de l’eau, indissoluble des gouffres sombres, amène ce discours de saillie : de l’enfoncement, quelque chose surgit. Le Paysage avec rochers et chute d'eau ill.29 témoigne de la nature de ce surgissement : si l’eau est du même clair que les tranches éclairées des rocs, elle a une autre lumière et blancheur. Elle est vive, en mouvement cascadant et rebondissant, frémissante hors du noir ; les roches comme les feuillages restant mornes empilements de couches picturales, géologiques ou végétales. Une fois jaillie de la saillie, après être disparue derrière un buisson, l’eau s’écoule en pan plus plat, retrouvant l’aspect minéral des rocs, perdant sa vivacité pour le sombre. Seul le surgissement de la chute d’eau, instant d’éclair toujours perpétué, semble avoir capté Courbet et être amené à nous capter ; le reste du paysage peint jouant comme d’un écrin, caverne ou boîte noire pour permettre cette captation. L’Entrée d’un gave ill.30 désavoue cette parution : conduit entre la succession des pans de rocs, verticaux à


gauche, plus horizontaux à droite, vers une faille sombre ouverte par deux lèvres rocheuses rougeâtres, le regard remonte le cours d’une eau atone pour s’engouffrer dans l’obscur. Déçus de ne rien avoir trouvé, que rien ne soit advenu, nous ne regardons pas le clair ciel picturalement insignifiant. Tenus par les lignes rocheuses, nous restons crochés dans le noir, passifs mais non désespérés : suspendus, mais en attente de quelque chose, d’une parution.

Ce quelque chose, Courbet l’a peint, avec parfois un biais narratif, comme dans La Source à Fouras ill.31. Il se montre peignant (ou peut-être se transfert-il dans la figure d’un anonyme peignant) une jeune femme vêtue d’une robe blanche, en un cadre de nature domestiquée. Un terre-plein rectangulaire s’ouvre sur sa profondeur pour accueillir deux bassins de lavandière58, le tout donné à voir en une perspective centrale, rare chez Courbet, dont le point de fuite, un peu décalé à droite du point central de l’image, donne sur une grotte, manifestement aménagée en voûte.

Sa noirceur absolue est surmontée d’une broussaille vert sombre puis clair, et d’un pan de falaise dépeint d’un ocre lumineux, marqué de stries horizontales puis verticales, qui clôt la perspective. Ce pan est encadré par l’assombrissement progressif des verts feuillages qui s’alignent en son devant. Cette clôture frontale et lumineuse renforce le trou noir de la grotte voûtée, au point qu’elle apparaisse outre perspective, comme surgie d’un derrière la surface de visibilité. De ce gouffre dégueule, un peu à sa droite, un gluant tombant gris, de l’eau ? Elle file suivant la ligne perspective offerte par les entablements rocheux, puis est brusquement interrompue. Elle semble avoir été canalisée jusqu’à un réservoir qui se dessine devant la femme assise sur un bloc, dont le profil esquissé montre qu’elle en regarde le contenu. De ce réservoir, un canal sombre dirige l’eau vers les deux bassins. Un petit saut la fait cascader vers le bassin le plus avant, aussi le plus petit, qui peut par une entaille la laisser filer vers le bassin plus arrière et plus grand. Dans l’axe perspectif, ce second bassin ouvre aussi une entaille propre à laisser couler l’eau hors sa surface rétentive59.

Où va l’eau de là ? Un liserai vert sombre marque un creux : elle chute, en tout les cas pas vers la droite en amont, mais vers l’aval à gauche, là où en contrebas, en retrait mais face au modèle, se situe le peintre. Il est chapeauté d’un bloc de pierre ocre clair qui le menace d’écrasement, alors que son modèle, vêtu d’une robe ocre gris clair se love dans l’abri accueillant du talus rocheux. Entre peintre à gauche, en rentrait aval et modèle à droite, plus en avant amont, les deux bassins d’eau agissent comme des surfaces de médiation ; surfaces qui sont des creux, emplis d’eau, qui miroitent le vert sombre des feuillages ou sont obstruées du sombre vert de quelques algues et mousses. Et média, l’eau l’est elle-même60, sortant de l’antre noire, coulant près de la femme, reposant dans les bassins, s’engouffrant vers le peintre61. Elle est une sorte d’espace interstitiel, jouant le rôle d’un entre-deux, initiant un clivage à l’intérieur de l’image. Pour le spectateur, assistant de l’espace entre-forme à ce qui vient en a-forme dans la profondeur, une « vie vague » y transpire62. De la disparition, de l’effacement et de la mort se donne à voir, mais presque par la négative, la vie, la présence et l’apparition qui s’infiltrent.

La Source ill.32, sans doute relecture d’Ingres (1820-56, Musée d’Orsay, Paris)63, scénarise ce même rapport de parution de l’eau vive hors de la morne béance noire. A l’oblicité du corps féminin aux massives fesses trop claires répond l’oblicité d’un ravin, qui sépare une clairière d’une petite cascade. Ce nu de dos retient de sa main gauche un filet d’eau jaillissant du centre de l’image, coupé par un tronc vertical. Cette tranchée sépare le jour qui s’ouvre au fond à gauche de l’obscurité proche, à droite, et là où elle est recoupée par l’oblique du corps et du décor, s’ouvre le lieu noir d’où sourd cette « source » invisible. L’eau semble ne saillir de rien pour animer la main de la nue, au profil fuyant, anonymisé, et qui pourrait basculer dans les ténèbres à droite, si de son autre main elle ne se tenait pas à une trop frêle branche. Le contraste des deux mains rend plus encore cette impression d’opposition entre l’animé et ce maintient figé.

Son pied droit se soulève enfin, montré plus vif, plus décrit, que ce corps massif qu’on dirait pétri, et répond à la vivante main gauche, au long d’une oblique qui croise celle du ravin, là où la verticale scinde l’image, là d’où l’eau jaillit : sur ce noir point central. L’amorphe se fait vif ; picturalement, l’informe se forme par infiltration latérale de la lumière ; dans la fiction peinte, il en va de même : la nymphe du pétri prend vie, sous l’écoulement frontal de l’eau.

Morpheús64, ce noir est réversible, voire est la réversibilité elle-même : disparition, engloutissement et apparition, surgissement, les deux à la fois ; en résurgence. Tels les cours d’eau jurassien, qui semblent sortir « tout fait » de quelque gouffre, mais dont l’origine est ailleurs, leur parution ne marquant que la fin d’un parcours quasi insondable65.


Ce pourquoi à « source » de la Loue et d’autres cours d’eau franc-comtois, il faut bien placer des guillemets : ce ne sont pas des sources, mais des résurgences. Là, au pied d’une falaise de calcaire blanche ouverte dans le sombre de la forêt, s’ouvre un vaste gouffre obscur, d’où noire et blanche jaillit une rivière déjà toute faite. Issue des recueils variés, lointains, de divers autres cours, passés par infiltration, faille, emposieux (dolines) et galeries souterraines, l’eau jailli avec un débit de plus de 50m3/s, rivière qui jamais nu fut ru, adulte sans enfance, déjà mûre, déjà exploitable pour sa force et son sel. Plus bas, à Salins, l’homme a ainsi ouvert les entrailles de la terre en mine. Depuis l’Antiquité66, on puise des tréfonds l’eau de saumure de la Furieuse (affluent de la Loue), remontée dans des fours de rocs, chauffés du bois des forêts locales, à évaporation. Et passant de la froide humidité noire des galeries au rouge sec surchauffé des fours, les travailleurs récoltent ce blanc charbon qu’est le sel, or incolore. Réaliste, Courbet n’a pas ailleurs jamais montré ce travail, mais ses paysages en manifestent la matière première : tréfonds de froide humidité noire saumure, entre bois et rocs où se puise et s’évapore le visible.


Le regard se fatigue à fouiller l’obscur et l’œil s’ensanglante dans une surchauffe asséchée du voir. Courbet ne montre pas le labeur mais semble en intérioriser la pénibilité, et nous en faire intérioriser le phénomène. Il inverse le positivisme social qui le précède et l’entoure67. Il oppose à l’idéal radieux d’un monde maîtrisé par les réalisations du travail libre68 un engloutissement dans la sombre matière du monde débordant d’énergie.


Courbet pénètre comme chtonien dans le ventre nature. Nous nous y engouffrons avec lui, passant outre le travail humain, inaperçu, au seuil du gouffre : que semble précaire et presque vaine cette activité humaine, par ailleurs fort passive puisque l’on n’y voit que pêcheurs ou roue de moulin tournant au fil de l’eau. La Source de la Loue de Washington ill.33, présente un homme pêchant à la fourche, debout sur une dérivation, mieux visible sur la version d’Hambourg ill.34 : quelques planches horizontales maintenues par deux pieux, tels que le montre la version de Zurich ill.35, dirige une part


des flots vers un moulin visible sur celle du Metropolitan Museum of Art ill.36. Si la façade de la bâtisse semble tenir, les planches se dispersent de plus en plus chaotiquement, écrasées par la cascade d’eau blanche sur noir, et Courbet de signer sur ce chaos, là où il s’efface dans une brume de non peint. Et si cette version nous a fait reculer et descendre un peu, force est de constater que la perspective qu’elle ouvre se referme sur la béance noire du gouffre qui, sur sa ligne d’horizon, dégueule le blanc des flots. Plus serrées, les deux versions précédentes nous placent comme déjà dans l’antre du monstre, une fois spectateurs d’un homme qui pourrait se faire avaler, une fois acteurs comme déjà engloutis. Impression confirmée par la version de Buffalo ill.37, qui exclu toute présence ou construction humaine : nous sommes face au monstre, déjà dans sa béance. A l’inverse du positivisme affirmé en Franche-Comté par Ledoux qui imagina appuyer un bâtiment69 sur la source de la Loue ill.38, pour mieux en cacher le gouffre et le domestiquer par le travail, maîtrisant la nature par la preuve platonicienne de la géométrie, les gouffres de Courbet font « forteresse dirigée contre le centralisme et le régime autoritaire70 », sont remparts à cette volonté idéalisée de


maîtrise d’un travail garde et directeur de l’humanité et du monde. Ils se creusent en opposition à la métaphysique proudhonienne de réalisation par le travail. Ce parce que l’artiste perçoit que le travail n’est pas « naturel », mais qu’est « naturelle » et réelle la précarité humaine, la vanité des réalisations, travaux et activités ; précarité de la vie et de la mort, de l’existence même face aux forces du réel ; «  ainsi la force est inhérente, immanente à l’être : c’est son attribut essentiel, et qui seul témoigne de sa réalité 71> ».  

L’artiste Courbet apparaît bien plus proche d’une philosophie de la condition humaine que l’homme engagé dans les débats sociaux de son époque72. Ainsi faudrait-il comprendre la phrase paradoxale « ce sont les gens qui vivent de vie, qui vivent de la mort » de sa lettre sur L’Atelier, bilan de la première partie de sa recherche, sociale, et ouverture d’une seconde partie bien plus métaphysique, déjà depuis longtemps pressentie. Alors, si l’on peut lire dans le frise noire des vêtements de L’Enterrement une affirmation que « la communauté présente absorbe l’individu [… et que] la conscience d’appartenir à une communauté, conscience éveillée par la révolution de


1848, apparaît […]73 », il faut être aveuglé par une lecture trop politiquement idéologisée pour ne pas voir que cette communauté humaine est elle-même absorbée par le monde, qu’il soit figuré en paysage ou présence picturale de matière noire ; la seule conscience étant d’appartenir au monde réel, comme précaire et éphémère existant. De là, il convient de lire dans les paysages non pas « une tension entre le radicalisme et le conservatisme […] d’un retour à la nature ou à la perception naturelle, et à des structure sociales enracinées dans un homme qui ne fait qu’un avec le monde physique [… comme] moyen de fuir les fléaux présents de la société ; [… ni] la dualité paradoxale et douloureuse de l’homme – être naturel et laborieux, objet et sujet du monde74 », mais l’affirmation d’un homme pris par le monde, objet et jouet d’une réalité physique qui le déborde, force de réalité qui est seule sujet.  Les diverses versions de La Grotte Sarazine précipitent ce même assujettissement de l’homme par le monde, cette fois plus de biais. Celle de Lons-le-Saulnier ill.39 nous présente un pêcheur assis, dont la fragile canne dressée pointe le gouffre, celle du Getty de Los Angeles ill.40 use de deux blocs de pierres claires, presque sphériques, pour nous tirer à gauche dans le trou. Sur le côté opposé, appuyée contre la paroi rocheuse, une frêle treille semble être

placée dans la vaine fonction de prévenir quelque effondrement. Au bord supérieur des deux peintures, la grotte se referme. Elle « sature le champ, le remplit bord à bord et […] le déborde75 » : nous sommes déjà dedans. La Source du Lison de 1866 ill.41 crache de sa gueule noire une cascade d’eau blanche qui, enserrée dans le défilé de deux blocs, paraît remonter pour se faire avaler, et notre regard avec. Alors que la version de 1864 ill.42 semble nous présenter le monstre : deux yeux diagonaux percés de noir et rouge et les mêmes teintes pour la gueule qui s’ouvre horrible biaisée, sur un croc. Elle bave une abondante salive qu’elle peut à tout moment ravaler76. Est dépassée ici la possibilité d’une lecture uniquement sociale et politique du réalisme Courbet : toute activité est minimisée par la béance de l’être nature, avalée comme notre regard par sa capacité insondable d’origine77 : faire naître ce qui existe déjà est en effet le paradoxe de tels gouffres. Est-ce l’intuition d’un réalisme plus profond : « et si, du fait de son incompréhensibilité fondamentale, le réalisme […] de Courbet, c’était précisément cela : la tentative d’un peintre de représenter non pas la réalité, mais le Réel ? Le Réel, c’est-à-dire ce qui s’oppose à l’imaginaire comme au symbolique dans la […] topique lacanienne78, et qui constitue ce qui reste impossible à symboliser, cet ailleurs du sujet


[…], cette réalité désirante qui s’exprime [… dans la peinture], mais qui reste inaccessible à toute pensée subjective. Ce Réel au fondement du réalisme de Courbet serait alors ce qu’on ne peut ni saisir, ni appréhender, et qui se définit d’abord à partir d’une limite du savoir : un impossible à rejoindre79 ».


 

« On pourrait dire que le Réel, c’est ce qui est strictement impensable. Ça serait au moins un départ. Ça ferait un trou dans l’affaire […]80 ». L’Origine du monde (1866, Musée d’Orsay, Paris) est une faille sombre ouverte par deux lèvres de chair rougeâtre, comme L’Entrée d’un gave où le regard remontait un cours d’une eau atone pour s’engouffrer dans l’obscur et ne rien trouver. Nous restons crochés dans le noir, passifs : suspendus, en attente de quelque chose, d’une parution. « Qu’est-ce qu’un trou, si rien ne le cerne81 » ? Trou, ce sexe engloutit tout ce qui existe, ravale la visibilité, absorbe l’ampleur des formes, plis des cuisses, du ventre et de la poitrine, replis du drapé blanc, emportés par une force centrifuge survenue de l’interne de la fente.

Le regard subit le même double mouvement fascinant : la ronde bosse massive des cuisses, amplifiée par un raccourcis trop rapide vers la poitrine, projette le premier plan vers le spectateur, qui, scrutant la fente offerte, est happé dans ce sexe, qui l’emporte derrière la toile82. Le fond pictural est brun noir, la touffe de poil pubien un peu plus noir, la fente plus noire encore, et là où le regard s’engouffre est un noir absolu, un noir d’outre-monde.

« Pour plaire à un très riche musulman qui payait ses propres fantaisies au poids de l’or et qui, pendant un certain temps, eut à Paris une certaine notoriété due à ses prodigalités, Courbet, ce même homme dont l’intention pompeusement avouée était de renouveler la peinture française, fit un portrait de femme bien difficile à décrire. Dans le cabinet de toilette du personnage étranger auquel j’ai fait allusion, on voyait un petit tableau caché sous un voile vert. Lorsque l’on écartait le voile, on demeurait stupéfait d’apercevoir une femme de grandeur naturelle, vue de face, extraordinairement émue et convulsée, remarquablement peinte, reproduite con amore, ainsi que disent les Italiens en donnant le dernier mot du réalisme. Mais par un inconcevable oubli, l’artisan, qui avait copié son modèle sur nature avait négligé de représenter les pieds, les jambes, les cuisses, le ventre, les hanches, la poitrine, les mains, les bras, les épaules, le cou et la tête. Il est un mot qui sert à désigner les gens capables de telles ordures, dignes d’illustrer les œuvres du marquis de Sade, mais ce mot, je ne puis le prononcer devant le lecteur, car il n’est usité qu’en charcuterie83 ». L’aveuglement de la mauvaise foi du critique est révélateur84 : sa description du corps devient symptôme85 de ce que la peinture produit. Courbet n’a certes pas représenté les pieds, les jambes, les mains, les bras, les épaules, le cou et la tête ; mais les cuisses, le ventre, les hanches, et la poitrine sont bels et bien là, dépeints. Sinon qu’à force de ne retomber que sur le gouffre sexué, les volumes des cuisses, du ventre, des hanches et de la poitrine sont bels et bien absentés, engouffrés. Ne restent que l’ordure86 et évidemment le procès de pornographie bouclant l’accusation rhétorique qui fait du peintre un prostitué87.

Abjectes, ces entrailles, obscènes ? En ce qu’elles précipitent hors scène, dans un « monde » qui précède sa venue au monde visible, oui. Comme un système emposieu – résurgence, L’Origine du monde est, engouffrant le visible, ce monde à son origine, avant sa visibilité. Et sans doute est-ce la raison de sa double occultation, hors la question de la morale privée, de toute façon préservée, le tableau étant accroché non dans le salon de Kalhil-Bey, mais, derrière son mur, dans un cabinet de toilette88 et recouvert d’un rideau vert. A son ouverture, le rideau, va découvrir89 la hanche, la cuisse, le ventre, le nombril et la poitrine du modèle, qui par son mamelon l’identifie comme féminin ; puis la dense toison noire des poils pubiens et enfin cette fente. Ce trou, pourtant de détail, fait oublier le dévoilement de la seconde cuisse et, plus encore, de ce qui avant avait été découvert, faisant dénoncer au critique « un inconcevable oubli [de] l’artisan, qui […] avait négligé de représenter […] les cuisses, le ventre, les hanches, et la poitrine ». Il agit comme la « source » de la Loue, qui fait resurgir un cours d’eau dont on finit par ne plus pouvoir penser qu’il est impossible, s’il ne vient pas d’ailleurs, engouffré par quelque emposieu. Sidérante, L’Origine fait oublier l’origine ; le trou, la femme ; le noir, le visible ; la visibilité, le réel.

C’est dire que la sidération opérée par ce trou fait oublier au spectateur ce que pourtant il a sous les yeux, et l’engouffre dans une totale absence de visibilité. L’Origine du monde agit comme un moule qui engouffre la visibilité dans l’invisible, et même l’indicible. Perçue comme « contre épreuve […] du Torse du Belvédère90 », l’image troue la conception même que l’on a, devenant inconcevable91. Ce monde peint, qui nous offre la vue de ce sexe, nous retire aussi toute vue de la femme ; parce qu’avec le retrait du rideau, il nous apparaît que le drapé pictural qui la couvrait a été retiré de son torse et sexe, pour mieux recouvrir son sein gauche et voiler son visage. Cette éclipse est aussi construite par la composition du tableau qui y conduit le regard : la vue est appelée par le coin inférieur gauche et la pénétration de l’image suit, en profondeur, la diagonale du format. Arrivée au coin opposé, la vue achoppe sur le repli blanc du drap,

triangle droit coupé net par le bord de l’image : rien n’est visible plus loin, pas même imaginable92. Ainsi hors de l’image, il n’y a plus d’image visible ou mentale. Le triangle supérieur droit appelle son symétrique brun à gauche, qui n’est qu’un fond, pas même un mur. Borné par la limite, le regard ne peut que descendre pour constater la coupure de la cuisse droite. Revenu à son point de départ, il va cette fois longer ce bord qui s’impose, constater en bas le même fond brun sur lequel le drapé se soulève et la même coupure de la cuisse gauche. Et la vue remontant le bord droit finit par saisir l’absence de bras. S’offre au regard d’emblée toute la peinture visible, et plus le spectateur parcourt la surface visible du tableau, plus son cadre lui en retire la visibilité. « Ce qu’il cherche à voir, […] c’est l’objet en tant qu’absence ; ce qu’on regarde c’est ce qui ne peut pas se voir93 ».

Si nous avons ici le monde à son origine ou l’origine même du monde, le moment et le lieu de La Genèse, ce qui nous en est donné ressort d’une sorte de théologie négative où le theos serait quelque monstre. Si peindre c’est montrer (monstrer), ne se montre que le visible du monde. Courbet montre pour cacher, et en creux il  a-montre  un monde outre visible, l’immonde, le monstre, le daimon94.Cet i-monde visuel qui en tout instant donne naissance au monde visible et à tout moment, en même temps, le reprend. Qu’est ce monstre sinon ce qui offre et retire l’apparence dans une folle débauche d’énergie centripète, dispersant le visible et centrifuge, l’absorbant. Energie contradictoire dont les effets s’annulent, ne libérant in fine que l’énergie pour elle-même.

Ainsi, comme beaucoup l’ont remarqués, L’Origine du monde a une grande similitude avec les Sources, Puits, Grottes et gouffres, pas seulement formellement, mais dans son fond ontologique95. Et tous lient la question formelle, puis phénoménologique, avec la série des Vagues96, mais tous effleurant la question ontologique : que sont ses vagues ?

Les vagues de Courbet, ce sont celles de la série maintenant célébrée, du rouleau de vague s’écrasant, spectaculaire, que l’œil prend de tiers profil97. La version du musée Oskar Reinhart, Winterthur ill.43 manifeste cette énergie centripète, donnant forme blanche à l’arrête, la crête et l’écume de la vague ; doublée de la force centrifuge, refermant la forme sous le repli de l’écume en rouleau noir. Effets annulés, l’énergie se libère pour elle-même dans les reflux de l’avant plan, alors que la suite de sa dispersion s’annonce à l’horizon, non seulement dans les crêtes des vagues en préparation, mais aussi dans les masses nuageuses qui semblent prêtes à se briser en rouleau. Point culminant, la crête triangulaire blanche de la vague, se soulevant devant le clair verdâtre de l’eau en repli, fait saillie sur le tréfonds obscur du rouleau qui l’écrasera. Dessous et




devant, tout s’écrase en chaos. Une version de 1870 ill.44 montre le rouleau s’écraser sur le fond pictural brun de la toile, où gît la signature ocre rouge de Courbet. Le reflux d’eau se déroule comme un drapé blanc qui ourle, de son volume pictural posé, le rembrunissant, le plat fond pictural. Et l’extraordinaire de cette peinture, qui ici s’affirme comme matière réellement posée sur son support, est qu’elle ne renvoie pas à la réalité plane du support mais, mise en contraste avec le tréfonds noir de l’abîme de la vague en rouleau, à une outre réalité, comme « derrière » le support pictural. C’est ici le même appel que celui du rebord du drapé blanc qui gît sous le corps de L’Origine du monde et du bord inférieur gauche où la cuisse finit par « manquer » au cadre et laisser apparaître le brun du fond pictural.


Et des vagues, il y en a d’autres, aujourd’hui moins connues, parce que moins spectaculaires, soit échappant au speculum, à la visibilité pour elle-même. Elles se dressent comme lieu d’apparition d’une « invisibilité oubliée, à même le visible, [qui] hante le visible. Cette invisibilité, c'est le visible en tant que tel. Elle s'acharne, elle fascine. On ne peut pas la faire réapparaître comme quelque chose qui aurait été cachée, qui aurait disparu, car elle est invisible par principe, en-dehors de toute phénoménalité98 ».  Ces autres vagues sont délibérément frontales, et confrontent de fait le spectateur à une masse, qui n’est plus trou, fente, puits, grotte, gouffre, abîme. C’est une a-surface énorme et a-volumétrique, ou i-volumétrique, agissant comme une poussée du fond, « toujours recommencée et jamais finie, [qui] enveloppe ou aspire le regard du spectateur, [… qui] supprime toute  perspective, disqualifie tout recul et interdit tout point de fuite au peintre. La mer s’impose en soi en tant que tel au regard, dont l’activité visuelle se trouve comme suspendue et réduite. La mer surgit, seule et d’elle-même99 ». Ainsi de cette pochade de La Vagueill.45 (peut-être avec collaboration d’atelier) qui, par l’arrête verticale d’un trait blanc poussant telle une cime, nie la crête

accomplie du volume la dominant, et va encore la faire se dresser. Le noir domine cette pulsion sous la vague, devant elle, et à droite, derrière, sous apparence de flots, comme à gauche, derrière, sous apparence de nuées. Ces noirs arrière rejoignent le noir avant et engloutissant le regard du spectateur, qui s’engouffre alors derrière, en arrière toile, dans un « impossible » outre-monde. Plane, la toile, niée par le volume d’une vague qui se renie en creux, zeigt « daß es keine wahrhaft schöne Fläche ohne eine schreckliche Tiefe gibt100 ».

La Trombe (1866, Philadelphia Museum of Art) préfigure cette effroyable profondeur : nous sommes encore lointain de cet événement qui se profile, mais se fait sentir : les deux tiers de la surface sont emplis des tracés noirs de l’eau en déluge se fermant en

courbes verticales pour clore le clair ciel du visible. Elles écrasent les horizontales du tiers pictural restant, qui alternent en coloris noir, gris, blanc, gris, noir, gris, noir, gris, blanc, beige, le fond pictural. Entre ces lignes, à l’horizon, le vestige d’un récit : des voiles noires, de quelques trop téméraires navigateurs, une voile blanche, qui encore peut fuir, et devant une sombre à nouveau, annonçant l’inéluctable : devant cette trombe, rien de l’apparence ne sera bientôt visible. Rien de l’éphémère existence ne restera, seule la puissance des flots viendra frapper, venue du fond, ce que la caricature de Gustave Randon ill.46, amplifiant l’effet en effaçant l’anecdote, exprime au mieux. Venue d’un espace outre-toile, la grisaille aqueuse va frapper sa surface, comme sur une vitre, noyée d’invisibilité.

«  Dans une grande pièce nue, un gros homme graisseux et sale collait avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche sur une grande toile nue. De temps en temps, il allait appuyer son visage à la vitre et regardait la tempête. La mer venait si près qu'elle semblait battre la maison, enveloppée d'écume et de bruit. L'eau salée frappait les carreaux comme une grêle et ruisselait sur les murs. Sur la cheminée, une bouteille de cidre à côté d'un verre à moitié plein. De temps en temps, Courbet allait en boire quelques gorgées, puis il revenait à son œuvre. Or cette œuvre devint La Vague et fit quelque bruit par le monde101 ». Ce monstre aqueux offre et retire l’apparence dans une folle débauche d’énergie centripète, dispersant le visible et centrifuge, l’absorbant. Cette énergie contradictoire dont les effets s’annulent, ne libérant in fine que l’énergie, pour elle-même, commence à prendre identité : Maupassant nous livre la contingence intérieure, grasse, sale, collante, de la fabrication de la peinture, a priori préservée du réel externe de la tempête. Mais ce pour nous décrire Courbet se collant à la vitre comme pour se faire battre par les flots salés, enveloppé de leur écume et bruit, pour revenir, ruisselant, au mur pictural de son œuvre. Ne pouvant techniquement pas

peindre dans la tempête, incorporée à elle, il fait tout pour se l’incorporer, jusqu’à en boire le substitut fermenté, dissolvant sa contingence intérieure pour précipiter en lui le réel extérieur.

L’incorporation de ce monstre, tempête de l’outre-monde, s’amplifie avec les versions les plus frontales des Vagues. « Celle de Berlin ill.47, prodigieuse […], bien plus palpitante, plus gonflée, d’un vert plus boueux, d’un orange plus sale […] avec son enchevêtrement écumeux, sa marée qui vient du fond des âges, tout son ciel loqueteux et son âpreté livide. On le reçoit en pleine poitrine, on recule, toute la salle sent l’embrun…102 ». Les versions du Dallas Museum of Art ill.48 ou de la National Gallery of Victoria ill.49 imposent en leur bas le fond pictural brun sombre et la signature ocre rouge de l’existant Courbet ; en leur haut, des massifs montagneux de nuées ocre blanches, blanches et gris bleutées, grises et noires, pur flux de force matérielle. Pris en tenaille entre ces deux bords, le regard se heurte ensuite en bas à un chaos d’écume épaisse, en haut au chaos nuageux plus fin, de noirs, blanc et gris verdâtre. Ce regard est alors enclavé au centre, pris dans la nasse du soulèvement blanc de l’écume, qui


domine un horizon presque disparu103, et cette saillie s’engouffre dans un creux vert sombre qui ramène à la disparition de l’horizon, de l’espace de visibilité. Cette énergie qui se soulève pour mieux s’affaisser est une débauche qui paraît inutile, palpitante, gonflée, boueuse, sale, écumeuse, âpre, venue du fond des âges : c’est « la pâte même des choses ».

« Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination. Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire exister. J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux la mer est verte ; ce point blanc, là-haut c’est une mouette, mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une mouette-existante ; à l’ordinaire, l’existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j’avais la tête vide ou tout juste un mot dans la tête, le mot être. Ou alors je pensais… comment dire ? Je pensais l’appartenance, je me disais que la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer. Même quand je regardais les choses, j’étais à cent lieues de songer qu’elles existaient : elles m’apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d’outils, je prévoyais leur résistance. Mais tout se passait à la surface. Si l’on m’avait demandé ce que c’était que l’existence, j’aurai répondu de bonne fois que cela n’était rien, tout juste une forme vide qui venait s’ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà : tout d’un coup, c’était là, c’était clair comme le jour : l’existence s’était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite : c’était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans l’existence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse, tout ça s’était évanoui ; la diversité des choses, leur individualité n’était qu’une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles en désordre – nues d’une effrayante et obscène nudité […]. Je veux dire que, par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister c’est être là, simplement : les existants apparaissent, se laissent rencontrer, mais jamais on ne peut les déduire […]. J’étais la racine du marronnier. Ou plutôt j’étais tout entier conscience

de son existence. Encore détaché d’elle – puisque j’en avais conscience – et pourtant perdu en elle, rien d’autre qu’elle […]. Le temps s’était arrêté : une petite mare noire à mes pieds ; il était impossible que quelque chose vint après ce moment-là. J’aurais voulu m’arracher à cette atroce jouissance, mais je n’imaginais pas que cela fut possible ; j’étais dedans ; la souche noire ne passait pas, elle restait là, dans mes yeux, comme un morceau trop gros reste au travers d’un gosier. Je ne pouvais ni l’accepter ni la refuser104 ».

Ces noirs dans le visible, ces gouffres qui absorbent ou rejettent, ces trous qui attirent et engouffrent, ces vagues qui déferlent et noient, ce monstre, le voici. Il est ce qui offre et retire l’apparence dans une folle débauche d’énergie centripète, dispersant le visible et centrifuge, l’absorbant. Il bat de ses flots salés, enveloppe de son écume et de son bruit, ruisselle, palpitant, gonflé, boueux, sale, écumeux, âpre, venu du fond des âges, d’outre-monde. Il est cette masse monstrueuse et molle en désordre – nue d’une effrayante et obscène nudité ; ce conglomérat de forces contradictoires dont les effets s’annulent, ne libérant in fine que pure énergie, pour elle-même. Il est L’Etre. Et pour le ressentir, il faut engloutir les apparences visibles et le sujet sensible. Ainsi Courbet peint une masse nocturne qu’il perçoit comme étant lui-même et dans laquelle il baigne. Par ce vide, c’est donc le regard et l’objet du regard qui se mêlent, appréhendant la cause de la vision, au moment où ce regard était considéré comme la mort de toute image105. Pour Courbet et ses spectateurs, engloutis par les apparences, c’est l’Etre qui nous est donné. Cet outre-monde, infini océan, outre espace, est celui de la plénitude de l’Etre. Plénitude qui ne peut se montrer, dans sa réalité, que par la négativité : « l'invisible n'est pas non-visible provisoirement ou circonstanciellement, il est en deçà […] du visible, exclu du visible par structure ou par définition. Par structure, c'est l'irreprésentable106 ».

En ceci, non seulement Courbet est réaliste, mais, par anticipation, en phéno-ménologue du visible, existentialiste. Il eu put écrire107 : « la vision n’est pas un certain mode de la pensée ou présence à soi : c’est le moyen qui m’est donné d’être absent de moi-même, d’assister du dedans à la fission de l’Etre, au terme de laquelle seulement je me ferme sur moi […]. Le propre du visible est d’avoir une doublure d’invisible au sens strict, qu’il rend présent comme une certaine absence […]. Quant à nous, notre cœur bat pour nous amener vers les profondeurs […]. Il y a ce qui atteint l’œil de face, les propriétés frontales du visible – mais aussi ce qui l’atteint d’en bas, la profonde latence posturale où le corps se lève pour voir […]. Au fond immémorial du visible, quelque chose a bougé, s’est allumé, qui envahit son corps, et tout ce qu’il peint est une réponse à cette suscitation108 ».

Ainsi, Courbet n’est pas la morte et aveugle machine daguerréotype que son temps y a vu109. Si ses noirs engouffrent son corps et le regard du spectateur, ce n’est pas pour disparaître, mais pour exister dans un « neutre »110 apte à laisser advenir la poussée de l’Etre111, alors accueillie par un corps disponible à la perception, rétentif112.

Si vous regardez les paysages de Courbet, c’est pour « voir » hors de ce qui est regardé, en deçà du visible ; regarder l’apparence c’est prendre conscience de ce qui ne peut être regardé, parce qu’en deçà de tout visible, de toute apparence : l’Etre même. Et cela dévale, par frayage113, en infiltration en écoulement, en résurgence, en flot puis en masse. Telle la coulée blanche du Paysage de neige avec les Dents du Midi ill.50, cela emporte tout sur son passage : surmontée de l’écume noire des montagnes qui la presse, la neige en dévaloir va emporter l’or noir de l’arbuste central, les buissons et roches, recouvrir la rivière figée au premier plan, s’écraser et noyer le massif bosquet noir à gauche. Dans un instant ne restera qu’un agglomérat de blanc, taché de noir, piqueté d’ocres, de verts et de bleus, vague éclaffée de la pâte même de choses. La massivité noire des vues du Grammont ill.51 et 52, réalisées lors de l’exil à la Tour-de-Peilz


procède de même. La vague est devenue montagne, l’écume neige et nuage, mais celle-ci est là pour procéder à la même annihilation de l’apparence visible par le visible lui-même pour, dans la négativité obscure, nous faire déceler l’Etre réel du monde.



On aura fait de Courbet le chantre du réalisme, le précurseur de l’impressionnisme, puis de Cézanne114. N’annonce-t-il pas plutôt le Quadrangle noir sur fond blanc ill.53 de Malevitch qui affirme le primat de l’ontologie sur l’esthétique115, et de fait ouvre le champ de la question de l’Etre en outre-monde de l’apparence. Ou plutôt, moins hégélien116, moins positif, plus tragique117, Courbet réaliste existentiel ne fraie-t-il pas la voie des color fields ill.54 de Rothko118 et de l’Etre apparu de Giacometti ill.55, peignant en paysage ce que le sculpteur su modeler et peindre en figure119. Aux yeux, ou plutôt au regard troué qui perce l’apparence visible pour faire surgir cette vérité de l’Etre, équivalent les noirs, gouffres, sources, résurgences, origines, vagues et dévaloirs de Courbet, l’un comme négatif120 de l’autre.


1. Georges Riat, « Gustave Courbet, peintre » in Pierre Courthion, Courbet raconté par lui-même et par ses amis, p. 227.


2. Aller de Bezançon à Ornans se fait aujourd’hui en un peu plus d’une demi-heure de conduite automobile par la D67. Passant par le montée de l’échancrure de More, redescendant sur plateau des Marais de la Saône, puis remontant au long du Bois Blanc, le trajet frise le Bois du Grand Mont, atteint les plateaux à Tarcenay, se faufile entre la Charmotte et la Chassagne, passe la Tuilerie des Combes et plonge dans le Ravin du Puits-Noir. Il faut ensuite descendre la Brême encaissée entre les Bois de Narpent et ceux de sur le Grand, avant de déboucher sur la Loue et d’en remonter le cours jusqu’à Ornans qui s’ouvre, surplombé de son cirque rocheux. Faire ce parcours actuellement est aisé, mais le décrire ainsi est tenter d’en saisir ce qu’était de le faire à pied, à dos d’âne ou en calèche. C’est avec la même démarche que Courbet sera ici regardé, certes avec les outils analytiques actuels, mais sans oublier ceux de son époque, l’analyse pointant à la conjonction ressentie des deux moments des discours.


3. Les guillemets cadrant le terme de source importent, et sur ce statut nous reviendrons, laissons-les pour l’instant renfermer le mot au point qu’il puisse acquérir quelque obscurité (voir note 65 et la part de texte qui en est le renvoi).


4. Sur le statut de l’exposition personnelle payante de L’Atelier, voir en particulier Laurence des Cars, « Les Manifestes » in Gustave Courbet, catalogue de l’exposition aux Galeries nationales du Grand-Palais, p. 167.


5. L’amphibologie est, en logique, une construction grammaticale qui permet à une phrase d’avoir deux sens différents. Cette indécidabilité sémantique peut conduire à un raisonnement fallacieux sur lequel la rhétorique peu jouer comme figure de style d’ambiguïté grammaticale pouvant donner lieu à diverses interprétations d’une même phrase. (Outils et ressources pour un traitement optimisé de la langue, CNTRL, Centre national des ressources textuelles et lexicales.


6. Eugène Delacroix, Journal, 3 août 1855.


7. Pour Un Enterrent à Ornans, Courbet a par ailleurs laissé témoignage écrit à Champfleury, printemps 1850, de ses conditions de travail, « sans reculée », assimilables à L’Atelier.   Cité par Jean-Luc Marion, Courbet ou la peinture à l’œil, p. 61 : « Il faut être enragé pour travailler dans les conditions où je me trouve, je travaille à l’aveuglotte, je n’ai aucune reculée. Ne serait-on jamais casé comme je l’entends ».


8. Voir la description que fait Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , pp. 121-126, en particulier lorsqu’il pose que : « le spectateur reçoit l’étrange impression que toute la double scène des deux parties latérales du triptyque manque de lumière et de couleurs. Le même ocre, seulement décliné en différents tons apparentés, recouvre, comme d’une poussière ou d’une brume, tous les personnages, qui, malgré leurs personnalités très marquées, sombrent dans l’indistinction ».


9. Les indentifications de ce mannequin divergent : Saint Sébastien, Saint Barthélémy, ou un écorché inspiré de Michel-Ange ainsi que presque visible dans L’Homme à la ceinture de cuir (1845-46, Musée d’Orsay), voire une interprétation du Laocoon (en tout cas pas le Christ en croix ou en déposition). Il est plus intéressant de remarquer qu’une fois le paysage posé en pivot de la toile, ce mannequin d’atelier fait symétrie au modèle d’atelier qui fut dépeint depuis une photographie. S’opposent l’ancien travail académique sur modèle moulé et l’usage de techniques modernes de travail, la douleur de la posture de l’homme nu et l’érotisation du corps nu de la femme, le modelé assombri du corps masculin qui semble prendre chair et l’aplat trop éclairé du corps féminin qui paraît se désincarner, et in fine le regard possible de la femme sur le paysage peint et celui impossible du mannequin sur son revers.


10. Le terme anglais pour point de fuite, vanishing point, prend ici une certaine importance : il est, traduit, un point d’évanouissement, de disparition du visible. Le rendre noir, évanoui, c’est nier ou « porte[r] à son point d’achèvement le programme albertinien d’une appréhension quasi exhaustive de ce qui est visible », Bernard Vouilloux, « Les Beaux morceaux de M. Courbet » in Courbet à neuf, actes du colloque international, Musée d’Orsay, p. 196.


11. Phrases reconstruites depuis Gustave Courbet, Lettre à Champfleury, hiver 1854, citée (entre autre) dans Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , annexes, p. 446. Voir également note 15.


12. Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , p. 125 note de même : « Procéder ainsi revient à déployer une espèce de réduction et aboutit à la destruction tant du visible social et mondain (partie gauche) que du visible psychologique et subjectif (partie droite) » ; hors qu’ici ne seront plus séparés droite et gauche pour mieux lier tous les visibles décrits sous les quatre aspects socio-mondains et psycho-subjectifs. Marion cite aussi (note de la p. 123) Werner Hoffmann, Das Atelier. Courbet’s Jarhrundertbild, p. 41 : « Le peintre est le sujet conscient, les autres ne sont que des objets [mais le peintre reste] Unerkannt ».


13. Baudelaire a manifestement dénoncé ce trait dans son article « Le Public moderne et la photographie » in Salon de 1859, dont Paul-Louis Robert, « Les Empreintes photographiques de Gustave Courbet » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 120 relit le texte : « ce phénomène est la recherche exclusive par le public du Vrai […], cette comédie […] qui voit la promotion, au travers du genre historique comme du genre anecdotique issus de la peinture Troubadour, de  l’amour de la réalité […]. Ce qui prime alors n’est plus le caractère, l’esprit de la représentation mais les artifices employés par les artistes – modernes – pour attester de cette réalité et ainsi étonner le public ». Robert conclu, p. 128, par : « le public n’a que très rarement suivi le peintre [Courbet] dans ses expériences ». De là, est éclairant de retourner à Jean-Luc Marion, op. cit. , p. 122 : « Le tableau dans le tableau s’impose comme la monstration de la seule chose vraie et existante de tout le tableau. Le reste, pourtant dépeint en grand style, apparaît précisément comme irréel […]. Tous ces personnages restent en fait de purs fantômes, irréels ». Il cite aussi en note, p. 121, la remarque de Pierre Georgel, Courbet, Le Poème de la nature, p. 71 : « Les penseurs, comme les misérables […] ne jouissent que d’une demi-réalité. Les figures, peu empâtées ont pour la plupart une consistance faible et comme spectrale. A droite comme à gauche, chaque personnage est absorbé dans sa rêverie. Aucun geste, aucune expression n’indique d’action ou de communication véritable ». Ce trait est repris par James H. Rubin, Réalisme et vision sociale chez Courbet et Proudhon, pp. 58-59 : « Courbet souligne la matérialité de l’objet qu’il se représente en train de créer [le paysage peint]. En comparaison de ses grandes œuvres des années précédentes, la plupart des figures de L’Atelier frappent par leur caractère lisse, conventionnel et leur modelé traditionnel ; leur surface est si mince, qu’avec le temps, elles ont commencés à s’estomper. Cette rupture avec son style antérieur n’a pas échappé à Théophile Sylvestre qui écrira [in Histoire des artistes vivants, français et étrangers : Courbet, p. 265] : La peinture, si l’on excepte la femme nue et l’artiste à son chevalet, est d’un ton louche, blafard et amolli […]. Le paysage de chevalet est également peint avec la liberté et la vigueur des œuvres plus anciennes » ; hors que renvoyer cette touche au passé exprime l’ignorance des paysages postérieures à 1855, Rubin marquant comme tous les critiques attachés au réalisme social de Courbet, un dédain pour les œuvres qui suivent la percée réaliste.


14. Voir Michael Fried, Le Réalisme de Courbet, pp. 169-172 : « Loin d’être une relation […] de face à face, la relation entre la figure du peintre et le tableau posé sur le chevalet […] est particulièrement oblique […]. Le corps du peintre est dans sa quasi totalité projeté contre, et en fait englobé par, le paysage qu’il est en train de peindre, exactement comme si on devait le croire adossé au flanc de   colline qui s’élève au-dessus de la rive à droite […]. Cette toile, qui représente un paysage de rivière […] s’écoule à son tour dans la figure du peintre […] ». Voir aussi note 60 et la part de texte qui en est le renvoi.


15. Beaucoup de commentaires lisent, sans relever l’ambiguïté de sa syntaxe globale, la Lettre de Courbet à Champleury, décrivant l’Atelier du peintre, hiver 1854-1855 (recueillie par Petra ten-Doesschate Chu, Correspondance de Courbet, et citée dans des sources multiples, dont « Autour de Courbet, une anthologie de textes » in Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , pp. 446-447). Le terme de « première partie » (5e ligne) est accroché à « l’histoire morale et physique de mon atelierA […] : ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée, qui participent à mon actionB. Ce sont les gens qui vivent de vie, qui vivent de la mortC. C’est la société dans son hautB, dans son basC, dans son milieuD. En un mot c’est ma manière de voir la société et ses passionsA ». La « première partie » est donc toute l’allégorie réelle de l’Atelier (A), puis la partie droite de la peinture (B), puis la gauche (C), la droite (B), la gauche (C), le milieu (D) et toute l’allégorie à nouveau (A).  Dans cette « première partie » Courbet a introduit la description de tout son tableau (A, B, C, B, C, D, A), non de sa première partie, souvent lue comme la partie gauche seule (C).

Il fait suivre cette introduction d’une description plus précise de la peinture, qui va reprendre les points précédents en une autre séquence (A, D, B, C, D, B), énonçant que « le tableauA est divisé en deux parties. Je suis au milieu peignantD, à droite tous les actionnairesB […], à gauche l’autre monde de la vie trivialeC […] ». Courbet ajoute une longue description des figures de gauche (environ 26 lignes), puis change de paragraphe. Et là il écrit : « seconde partie. Puis vient la toile sur mon chevalet et moi peignantD […] », à la suite de quoi il décrit les figures de droiteB. Ce terme de « seconde partie » relève de la même amphibologie que son tableau de paysage dans le tableau de l’atelier en ce qu’il fait croire se rapporter à celui de « première partie », alors qu’il se rapporte aux deux parties de la division du tableau énoncées au début du paragraphe, sans que cette partie première ne soit nommée.

Recomposons l’essentiel de la phrase pour permettre quelque clarté : c’est l’histoire morale et physique de mon atelier, première partie, ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée, qui participent à mon action. Ce sont les gens qui vivent de vie, qui vivent de la mort. C’est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot c’est ma manière de voir la société et ses passions.

Le tableau est divisé en en moitié droite et gauche. Je suis au milieu peignant ; à droite tous les actionnaires, à gauche l’autre monde de la vie triviale (description de la moitié gauche). Moitié droite (et non seconde partie), vient la toile sur mon chevalet et moi peignant (description de la moitié droite), sur laquelle in fine Courbet revient pour dire : « je vous ai fort mal exprimé tout cela, je m’y suis pris au rebours. J’aurais dû commencer par Baudelaire, mais c’est trop long pour tout recommencer ».

Cette relecture détache radicalement le terme de « première partie » de la description d’une première partie (gauche) de l’image, qui serait suivie par sa deuxième partie (droite). Il permet par contre de l’attacher au « titre » ou à l’intention de l’œuvre : « c’est l’histoire morale et physique de mon atelier, première partie, ce sont les gens […], c’est la société […], c’est ma manière de voir la société », histoire déterminant une phase de sept années de ma vie artistique, histoire maintenant passée. La « seconde partie suivra » et sera autre. L’Atelier établit un bilan avant de passer à autre chose : essentiellement les paysages des creux de la Loue, de la Brême ou du Lison, paysage qui s’annonce en amphibologie dans L’Atelier comme dans la lettre. Ainsi il relève du lapsus que Courbet écrive : « seconde partie. Puis vient la toile sur mon chevalet et moi peignant [ce paysage]  avec le côté assyrien de la tête ». Ce rapport primordial au paysage sera bien la seconde partie qui suivra le bilan de L’Atelier, seconde partie de carrière où fier assyrien, Courbet seul se confronte au tréfonds de la nature, de la toile et de la peinture, hors de la mondanité.

Dernier point sur le sujet, dans sa lettre, Courbet évoque les peintures d’arrière plan et celle qu’il peint : « dans le fond, contre la muraille, sont pendus les tableaux du Retour de la foire, Les Baigneuses, et le tableau que je peins. C’est un tableau d’ânier qui pince le cul à une fille qu’il rencontre et des ânes chargés de sacs dans un paysage avec moulin ». Hors l’intention écrite de la lettre programmatique, ce qui sera visible est : seront pendus des tableaux esquisses de paysages futurs, « seconde partie », et non les tableaux passés, « première partie » ; et loin de l’ânerie populacière et sociale planifiée, dans un rappel de cette première partie mondaine, avec pince-fesse et moulin, un pur paysage, indiqué par le pinceau du peintre, qui, là, nous montre sa seconde partie, outre trivialité, populasserie, discours social ou mondain.


16. Il s’agit ici plus de marquer un changement de tendance et d’attitude qu’une rupture et un basculement, voir par exemple le décrié Retour de la Conférence (1863, détruit) et de certaines Chasses, dont La Curée (1856, Museum of Fine Arts, Boston), conçues comme véritables scènes de genre à destination du Salon. Voir également note 19.


17. Portraits « de commande » ou vendables (voir note 87), tel par exemple Le Portrait de Mme de Brayer (1858, Metropolitan Museum of Art, New York) et en matière d’autoportrait le retour sur soi que doit entreprendre pour lui Courbet après son incarcération à Sainte-Pélagie (Portrait de l’artiste à Saint-Pélagie, 1872-73, Musée Courbet, Ornans). Voir également note 19.


18. Bruno Foucart, Courbet, Tout l’art, p. 36, note la similitude entre retrait du sommeil avec celui des paysages : « Courbet aime à peindre ces dormeuses, ces assoupies, comme il aime peindre la profondeur et le calme des sous-bois, la vasque des sources. Cet extraverti, ce sanguin, grand raconteur d’histoires énormes et sonores, cet agitateur d’idées révolutionnaires est en fait et dans son intime le poète de la paix, du silence, de ce paradis perdu des origines où tout est clame, simplicité et dormition ». Voir aussi Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , pp. 70-71 et son renvoi à l’étude de René Huyghe, « Courbet » in Catalogue d’exposition Gustave Courbet. Voir également note 64.


19. « Mondain » est de fait ici compris dans l’entier du spectre de sa définition (CNTRL, op. cit.). Sociale : qui est propre à la société des gens en vue, à ses habitudes et à ses divertissements ; qui fréquente le monde et aime les mondanités ; qui adopte les usages en vigueur dans la société des gens en vue. Matérialiste : qui est attaché aux biens et aux plaisirs de ce monde, qui témoigne de cet attachement. Philosophique : qui appartient au monde, au siècle, par opposition aux choses religieuses. Il est important de noter que Courbet n’a jamais cessé d’être un homme « mondain », cherchant comme artiste l’acceptation d’une « certaine société » ou défendant comme citoyen des idées politiques « matérialistes et sociales », s’engageant même pratiquement en 1870 pour la République et en 1871 dans La Commune ; et que c’est bien sa peinture, soit la recherche artistique de Courbet, qui comme clivée des engagements de l’homme Courbet, glisse outre-monde. Voir aussi note 40.


20. Sur L’Enterrement, voir notes 27 et 28, et la part de texte qui en est le renvoi.


21. Voir Timothy J. Clarck, Image of the People : Gustave Courbet and the 1848 Revolution, postscript, pp. 155-161 ; il s’agit ici de penser à l’inverse d’une pensée politique de l’art qui permet à Clarck de congédier quasi toute la production de Courbet postérieure à 1855.


22. Voir Micheal Fried, Le Réalisme, op. cit. , p. 15 : « Après l’avènement de Manet au début des années 1860, la peinture de Courbet cessa d’être une source d’innovation au sein de l’avant-garde française et, en partie pour cette trahison, des critiques contemporains affirmèrent parfois qu’elle avait perdu son tranchant. On ne saurait non plus nier que, dès la seconde moitié des années 1850, sa peinture trahit des préoccupations moins manifestement sociales […] ».


23. Voir Paul Galvez, « Painting at the Origin » in Symposium Looking at the Landscapes ; Courbet and Modernism : « It is striking how much Courbet avoids the long expansive views to be found on the plateau of Flagey. His first strategy could therefore be called one of downward descent. His eye gravitates to sites naturally corralled. Usually he even accentuates their enclosure ».


24. Voir à ce propos les descriptions de Laurence des Cars et analyses de Thomas Galifot, Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , pp. 227-229, 232-233, puis 241-242 : « Le peintre s’est placé au plus près de son motif […] contrarié par cet écran végétal, le regard s’échappe difficilement […], si le sentiment de claustrophobie n’est pas très loin […] la toile de Courbet se veut avant tout une évocation de l’énergie vitale qui sourd du tissus végétal […]. Les troncs centraux sont ainsi le pivot d’une composition basée sur un double mouvement, vers l’extérieur avec le ruisseau qui semble se déverser hors du cadre, vers les profondeurs où le regard s’enfonce […]. Dans un effet de fenêtre ouverte au hasard sur la nature, l’œil se heurte à un mur de roche et de végétation qui, évacuant là encore presque entièrement le ciel, vient épouser le plan de la toile. Courbet prend le contre-pied de la convention voulant que la lumière occupe le cœur du tableau et […] base sa composition sur un trou d’ombre central qui aspire le spectateur ». Reste que l’approche de ces critiques est sensualiste, au service d’un pur discours esthétique et formel.

Si pour Bruno Foucart, Courbet, op. cit. , p. 111, « le noir […] exprime la profondeur, la vie sourde […] », plus loin mène l’analyse de Klaus Herding, « Traits de lumières d’outre-Rhin jetés sur la réception de l’artiste » in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 210-215 : « ce désir de laisser le monde en suspens pour plonger dans les abîmes de sa propre existence montrait bien combien la portée du terme réalisme était restreinte. A quelques exceptions près, on n’avait guère analysé la noirceur silencieuse des peintures à la texture épaisse et aux couleurs sombres de Courbet […]. Aujourd’hui, on reconnaît que Courbet a révolutionné la notion de peinture et l’on attribue un sens profond même aux trous, aux endroits creux et vides dont certains de ces tableaux abondent ». Voir aussi du même auteur, « The More you approach Nature, the More you must Leave it : Another look at Courbet’s Landscape Painting », Symposium, op. cit. : «  Introspection was as important to the painter as was provocation ; these were two complementary forces to him, and I should even add : introspection was a kind of provocation, if applied to figures, since it prevented them from appearing all too pleasant or conformist. If applied to landscapes, introspection results in an expression of autonomy, self-enjoyment, or, sometimes, resistance against the central power […]. Not only did Courbet keep nature alive, but by shaping it through abstract patterns, his landscapes were best suited to describing his feelings, to expressing the painter’s relationship to the world. In this respect, nothing is more explicit than the silence of his dark and introspective Black Well pictures, where the beholder is invited to dive into the painter’s inner life ».

Voir encore Paul Galvez, « Painting at the Origin »,  in Symposium, op.cit. : « While in the Black Well series individual trees and rocks are easily recognized, they are oases of stability in an otherwise pulsating vortex of hesitant forms and black holes, where craggy outgrowths, verdant canopies, and mossy embankments creep out toward the beholder. Their stealthy approach seems to warp space around them, initiating an imagination of space running from uppermost leaf all the way to the stream’s watery depths. Add to this the undifferentiated dark areas near the center and middle ground, and it is hard not to feel that the entire image field is somehow in flux, convulsing, as if powered by an invisible bellows ».


25. Bruno Foucart, Courbet, op. cit. , p. 110.


26. Bernard Vouilloux, « Les Beaux morceaux de M. Courbet », in Courbet à neuf, op. cit. , p. 204.


27. Sur le précipice du Fou de peur, voir Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , p. 67 : « [Courbet] paraît bondir directement vers le spectateur et, considérée dans sa totalité, l’image laisse penser que c’est la contemplation de l’abîme qui s’ouvre devant lui qui l’a poussé à ce geste de folie […]. Il peut s’interpréter comme une thématisation du sentiment qu’a le peintre, je crois, du gouffre vertigineux qui sépare le modèle du spectateur et au bout du compte, ajouterai-je, la peinture du spectateur ». Que de prudence dans les mots, alors que c’est cette séparation qui devrait autrement ce thématiser.


28. Sur la béance de L’Enterrement, voir Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , pp. 128-129, en particulier l’idée que « la vallée et la fosse […] répondent à un certain désir d’excavation et de comblement […] ».


29. Timothy J. Clarck, Image of the People, op. cit. , p. 82.


30. Etienne-Jean Delécluze, « Exposition de 1851 » in Journal des débats, cité par Paul-Louis Robert, « Les Empreintes photographiques de Gustave Courbet » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 126.


31. Eugène Bonnassieux, « Beaux-Arts. Salon de 1850-1851 » in Journal des femmes, cité par Paul-Louis Robert, idem.


32. Frédéric Henriet, « Beaux-Arts. Salon de 1851 » in Le Théâtre, cité par Paul-Louis Robert, idem.


33. Edmond et Jules de Goncourt, Etudes d’arts. Le Salon de 1852 – La Peinture à l’Exposition de 1855, cités par Paul-Louis Robert, idem, p. 128.


34. Phrase de Courbet recueillie par Max Claudet, Souvenirs, Gustave Courbet, cité par Bruno Foucart, Courbet, op. cit. , p. 111.


35. Max Claudet, idem, cité par Manuel Jover, « Noir Courbet » in Art absolument, n°22, p. 65.


36.. Théophile Sylvestre, Histoire des artistes vivants, op. cit. , p. 270, cité par Bruno Foucart, Courbet, op. cit. , p. 110.


37. Lettre de Courbet à ses parents, avril 1845, citée par Bruno Foucart, idem, p.11.


38. Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère, chapitre XIII, IIIe partie, section 2 : « Travailler c’est dépenser sa vie ; travailler en un mot, c’est se dévouer, c’est mourir. Que les utopistes ne nous parlent plus de dévouement : le dévouement c’est le travail, exprimé et mesuré par ses œuvres… L’homme meurt de travail et de dévouement, soit qu’il épuise son âme […] dans un effort d’enthousiasme ; soit qu’il consume sa vie par un travail de cinquante ou soixante années […]. Il meurt parce qu’il travaille ; ou mieux, il est mortel parce qu’il est né travailleur ; la destinée terrestre de l’homme est incompatible avec l’immortalité ».


39. Voir à ce propos l’étude de Gilbert Titeux, « L’Inquiétante étrangeté de certaines chasses franc-comtoises », in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 259-279. Il démontre en particulier les méthodes de travail des scènes animalières, pp. 262-265.


40. Entendre ici autant le drame pictural qu’humain, suite à l’incarcération de Courbet à Sainte Pélagie, puis à la clinique de Neuilly. Ce pour sa participation au Conseil de la Commune comme délégué à l'instruction publique, président de la Fédération des artistes ; et avant que le seul chef d'accusation retenu contre lui n’ait été de s’être rendu complice, par abus d'autorité, de la destruction de la colonne Vendôme, dont il avait suggéré la destruction six mois avant le début de la Commune. Preuve que l’homme Courbet n’avait cessé d’être actif politiquement, mondainement réaliste, alors que l’artiste ne s’occupait plus en peinture de réalisme politique et de mondanité (voir aussi note 19). Le remboursement de la colonne auquel il sera alors condamné justifie-t-il l’exil, ce remboursement étant de toute façon impossible, ou cet exil à La Tour-de-Peilz ne manifeste pas plutôt la crainte qu’une nouvelle incarcération se déroule sous le même régime que celle de Sainte-Pélagie ? A savoir : interdiction de peindre, puis autorisation matériellement extrêmement limitée. Sur les conditions d’incarcérations du peintre, voir Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ? - Politique et représentations dans la France républicaine, pp. 150-152.


41. Charles Sterling, La Nature morte, de l’Antiquité au XXe siècle, p. 90, cité par Laurence des Cars, « L’Expérience de l’histoire, Courbet et la commune » in Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , p. 424.


42. Pour Courbet comme pour son cercle d’influence, dont Proudhon, 1848, puis 1871 ne sont que les suites de la révolution entamée en 1789, encore inachevée. Sa fin est bien perçue comme une remise à zéro de l’histoire, sous le regard de Chronos-Saturne, tel que le montre la caricature de Proudhon par Cham (1818-1879), P-J Saturne dévorant ses enfants (Bibliothèque nationale de France, Collection de Vinck). Voir aussi l’ample thèse de Chakè Matossian, Saturne et le sphinx, en particulier : p. 147 sqq. « Art et révolution, le degré zéro du langage artistique ». Voir encore note 46 et la part de texte qui en est le renvoi.


43. Manières de tables décrites, entre autre, par Théophile Sylvestre, Histoire des artistes vivants, op. cit. , pp. 249-251 (le dîner à Pontoise) et analysées par Bertrand Tillier, La Commune de Paris, op. cit. , p. 45, comme : « l’image forcée dès avant la Commune, du gros mangeur, gros buveur (de bière), gros paysans comtois, volubile et tonitruant, bon vivant, chasseur et amateur de gibier ». La question est aussi largement abordée par Frédérique Desbuissons, « Le matérialisme de Courbet » in La production de l’immatériel, pp. 399-405, qui définit médicalement la maladie d’hydropisie de Courbet : ascite du cirrhotique (voir note 59).


44. Frédérique Desbuissons, « La Chair du réalisme : le corps de Gutave Courbet », in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 76-78. Pour sa citation d’Alexandre Dumas fils, Lettre sur les choses du jour, 6 juin 1871, p. 16 ; pour celle de Camille Lémonnier, Gustave Courbet et son œuvre, p. 46.


45. Il faut ici renvoyer au concept topologique de la Bouteille de Klein, tel qu’utilisé par Jacques Lacan, qui un temps possédera L’Origine du monde (voir notes 78, 80, 81, 82, 85, 86, 88, 93 et les parts de texte qui en sont le renvoi). Voir en particulier Problèmes cruciaux de la psychanalyse et D’un Autre à l’autre.


46. Courbet s’est intéressé à Saturne lorsqu’il peignit en 1865, de manière posthume, Proudhon (Proudhon et ses enfants, 1865, Musée du Petit Palais, Paris) en penseur mélancolique, portrait qui fait dire à Chakè Matossian, Saturne et le sphinx, op. cit. , après le long développement du chapitre « Proudhon ou la mélancolie de Courbet », p. 23 sqq. : « il est surtout difficile de ne pas voir dans le portrait de Proudhon […] une évocation de Saturne comme celle de Girolamo Da Santa Croce, s’inscrivant à la suite de celle de Campagnola, associant Saturne et le monde paysan. La blouse de Proudhon contribue à donner à son portrait un aspect saturnien […]. En peignant le jeu d’eau de la fille cadette, Courbet marque peut-être une réminiscence de la tradition du Moyen-Age et dont la gravure de Campagnola se fait l’écho, associant Saturne à un fleuve de même que, pour la tradition pythagoricienne et orphique, à laquelle n’est pas étranger Proudhon [ni ne peut l’être un peintre qui a quelque connaissance des humanités] qui affirme […] suivre les préceptes pythagoriciens, Chronos règne sur les eaux et les rivières […]. Proudhon détient les caractéristiques du dieu ambivalent, il apparaît comme le descendant de Chronos-Saturne, personnalité hybride résultant de l’association du Chronos grec (négatif) et du Saturne romain (positif) […]. Chronos fait partie du travail même de Proudhon, de ses projets éditoriaux à visée universelle et cosmique. Il tient à produire une Chronique de l’humanité […] dans laquelle il inclurait une cosmogonie. Cet ouvrage en chantier, Proudhon veut l’intituler Kronos » (pp 60-64). Ajouter que Chronos-Saturne fait partie du travail même de Courbet, régnant sur les rivières, origine et fin, les gouffres et, on le verra, les vagues, relève du complément.


47. Sur les filiations Chronos-Saturne, voir The Orphic Hymns, Hymn 6, retraduit ici : « Tu as dispersé la brume sombre qui se trouvait devant tes yeux et, battant tes ailes, tu tourbillonnais, et c’est toi qui dans tout ce monde a apporté la lumière pure. Pour cela, je t’appelle Phanès ». (ὄσσων ὃς σκοτόεσσαν ἀπημαύρωσας ὁμίχλην πάντη δινηθεὶς πτερύγων ῥιπαῖς κατὰ κόσμον λαμπρὸν ἄγων φάος ἁγνόν , ἀφ ‘ οὗ σε Φάνητα κικλήσκω).


48. Phrase de Courbet recueillie par Théophile Sylvestre, Histoire des artistes vivantsop. cit. , p. 270, citée par Bruno Foucart, Courbet, op. cit. , p. 111.


49. Bruno Foucart, idem, p. 111.


50. Pour reprendre le paradoxe énoncé par Courbet à propos des figures de L’Atelier, Lettre à Champfleury, op. cit. , voir notes 11 et 15.


51. Voir Paul Galvez « Landscape and phenomenology » in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 170-171 : « Notice how the rock at the bottom-right corner of the Orsay Ruisseau couvert is not circumnavigated by any contour. With the exception of the tree trunks rendered with a single stroke, Courbet avoids full outlines. It is up to the viewer to assemble the marks into an object. This is true of many of his rocks […] it is not the extra application of paint, but the way the ground is incorporated into forms that gives them weight and heft. Sometime, as in the Ruisseau couvert rocks, the ground invades the figure as a liquid fills its container. Sometimes it is made to function as a kind of interstitial space, not part of any figure, but at the same time not mere background either. It plays the role of the in-between in all those landscapes […] where the center is empty and goes unnoticed. Most powerfully, it initiates a cleavage from within the fabric of the image […] ». Voir également note 62 et la part de texte qui en est le renvoi.


52. Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , pp. 147-150 différencie dans L’Enterrement deux points de vue structurels : celui du peintre-spectateur et celui du spectateur-de-peinture ; ce idéologisé par son discours « antithéâtral ». Il tend à plier ses descriptions à l’idée à priori qui le gouverne ; voir Absorption and Theatricality. De fait Fried est toujours dans une théorie de la représentation, des figures et de la mise en scène, ce qui le pousse à écrire dans Le Réalisme, op. cit., p. 236 : « même si Courbet fut un maître dans l’art de peindre des paysages, il ne fut pas essentiellement paysagiste mais peintre de figures : le sens des paysages n’apparaît tout à fait qu’en regard de ses peintures de figures. Telle est la raison essentielle du rôle secondaire accordé dans cette étude aux paysages ». Raison contre laquelle cet essai s’inscrit en faux : le drame que mettent en place les structures paysagères de Courbet n’a rien à voir avec le théâtre ou son antithèse, avec la mise en scène et les figures. Il a à voir avec la peinture et la question de la visibilité (voir, pour conclure, note 119), parce que Courbet n’est pas dans l’ordre de la représentation image, mais bien, ce qui Fried oublie, du réalisme pictural.


53. Voir le concept d’invu chez Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , qui écrit p. 26 : « Ainsi, le geste de peindre précède le regard identifiant la chose, qui trouve son identité après avoir été peinte ; son apparition sur la toile ne reproduit pas ce que l’on saurait déjà, si on l’avait connue d’un regard objectivant, mais consigne sa pure apparition – apparition et non apparence d’ailleurs, car l’identification objective qui suivra la confirme comme une parence (un eidos) authentique ; au contraire d’une apparence, il s’agit de l’apparition de la chose avant son identification comme un objet déjà bien connu par le regard. En ce sens, le peintre ne sait pas ce qu’il peint, du moins ne le sait pas d’un savoir théorique, objectivant, indépendant de l’apparition elle-même ; il peint ce qui se met en lumière et en évidence par soi-même, connu ou non ; on peut donc dire que la chose se montre d’elle-même, sans aucun concept regardé qui la précède. [Et citant Courbet] : Quand je le (l’éclairage le plus vif) verrai la chose sera faite sans que je le veuille. (Francis Wey, Courbet, Ecrits, propos, lettres et témoignages, pp. 280-281) ».


54. Pierre-Joseph Proudon, Du Principe de l’art et de sa destination sociale, p. 22 : « En premier lieu, de ce que notre âme a la faculté de sentir, à première vue et avant toute réflexion, indépendamment de tout intérêt, les belles choses, il s'ensuit, au rebours de ce qu'enseignent de grands philosophes, que l’idée du beau n'est pas en nous une pure conception de l'esprit, mais qu'elle a son objectivité propre ; en autres termes, cette beauté qui nous attire n'est point chose imaginaire, mais réelle. En sorte que l'art n'est pas simplement l'expression de notre esthésie, qu'on me passe ce néologisme ; il correspond à une qualité positive des choses ». Passage que Chakè Matossian, Saturne et le sphinx, op. cit. , commente ainsi, p. 73 : « l’esthésie, capacité de découvrir le beau et le laid, se définit comme une réaction physiologique d’attraction/répulsion et précède toute réflexion. Il y a une objectivité de l’attirance qui fait que la beauté n’est ni une idée, ni un produit de l’imagination, mais qu’elle est bien réelle en tant […] qu’efficace de l’image et, en conséquence, trame ou arrière-plan de toute image à venir. L’art surgit ainsi comme l’écho de cette réalité de la nature dont Proudhon démontre le mécanisme ».


55. Sur la neutralisation du moi, voir Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , pp. 69-95, en particulier : « L’épokhè suspend le prima de cet ego, en l’exposant directement au donné antérieur du monde, qui ne constitue plus la collection statique, éventuellement totale et totalisante, des objets, mais surgit comme un événement. Le monde advient sans se laisser constituer en un objet ou par une somme d’objets, donc sans plus dépendre d’un sujet le constituant. Le monde apparaît pour autant qu’il advient a-subjectivement à la vue qui s’y adonne ». Et plus loin, pp. 197-198 : « Ce qui implique […] que le peintre ne créé pas tant le visible qu’il n’enregistre la montée vers lui des invus toujours inattendus et jamais pré-vus. Témoin de ce qui se montre par soi plus que fabricant d’un visible à consommer, il laisse passivement apparaître ce qui […] se constitue sans que la main de l’homme ne l’ait produit (acheiropoïète). Car, si le phénomène se montre en soi et de soi […], alors le tableau doit finir par accomplir absolument la chose même, sans autre soi que le sien. Il s’ensuit une disparition, ou du moins un retrait extrême de tout autre soi, en particulier du moi du peintre et même du spectateur ». Voir aussi Maurice Blanchot, « René Char et la pensée du neutre » in L’Entretien Infini, pp. 439-450, et en particulier, dès la p. 447 la partie « Parenthèses ».


56. Maurice Blanchot, Thomas l’Obscur (seconde version), pp. 15-18. Il est évident que Courbet ne pouvait rien connaître de l’existentialisme, de la phénoménologie ou de l’ontologie heideggérienne (voir notes 104 et 117) ; mais à y voir de près, une filiation peut s’énoncer de Blanchot, Sartre au surréalisme, de là à Maupassant, qui rencontra Courbet, dont la nouvelle fantastique du Horla (1886) annonce le vertige existentiel de Thomas. De même, l’appel se tourne vers Poe, dont Une Descente dans le Maelstrom, traduit en 1841 par Baudelaire, relation de Courbet, manifeste le même vertige.


57. « Par définition, une signature écrite implique la non-présence actuelle ou empirique du signataire. Mais, dira-t-on, elle marque aussi et retient son avoir-été présent dans un maintenant passé, qui restera un maintenant futur, donc dans un maintenant en général, dans la forme transcendantale de la maintenance », Jacques Derrida, Marges de la philosophie, p. 391.


58. Il ne paraît pas impossible de voir dans ces bassins une relecture « sous les plateaux » du Château d’Ornans ou Fontaine d’Ornans, Le Bassin aux vipères, manifeste des vues « sur les plateaux ». Mondaine, la scène d’Ornans reflète dans le bassin la clarté du ciel, ce à quoi répondent, en outre-monde, les bassins de Fouras qui n’ont pour reflet que les feuillages ; la perspective descend les creux des collines pour mieux s’ouvrir au-dessus des valons sur le ciel, à l’inverse elle se ferme sur un pan vertical de falaise et l’absence de tout ciel ; claire, la scène d’Ornans s’ouvre au monde des apparences, panorama paysagé, celle de Fouras, sombre, est engouffrée dans le monde réel, condition de notre enfermement ici même.


59. Rétentif : faculté de capter et de retenir par l’esprit, mémoire CNTRL, op . cit.). A ce propos, rappelons que si Courbet peint sur le motif, la plupart de ses tableaux sont poursuivis, voire intégralement repris, en atelier, soit de mémoire. Il est aussi à noter que l’ascite du cirrhotique, dont souffrait Courbet (voir note 43), est une maladie de la rétention : un excès d'eau se localise dans cavité péritonéale (la cirrhose, due à une trop grande absorbtion – captation – d’alcool en est le plus souvent la cause), voir L’Ascite, Centre Hépato-Biliaire Paul Brousse.


60. Michael Fried, Le Réalisme, op. cit., p. 171-172 note à propos du paysage de L’Atelier, que « cette toile, qui représente un paysage de rivière […] s’écoule à son tour dans la figure du peintre : comme si le mouvement implicite […] du corps du peintre dans la peinture avait sa réciproque ou qu’il était peut-être anticipé par un contre-mouvement de la peinture à l’extérieur, vers le peintre. [… Ce] sont autant de métaphores visuelles de l’écoulement, de la chute et de la turbulence des eaux dont la source est la peinture même […] ». Mais, s’agissant du sens de la métaphore, Fried n’en dit rien, alors qu’il semble bien essentiel à la compréhension du sens des paysages : l’eau est, éclairée, le visible absolu, blanc, qui s’infiltre ou s’exfiltre de la noire invisibilité.


61. Cette médiation de l’eau n’est pas éloignée de celle présente dans les lacs de Nicolas Poussin, en particulier dans Le Paysage d’orage avec Pyrame et Thisbé (1651, Städel Museum, Francfort), dont Louis Marin, « Déposition du temps dans la représentation peinte » in Nouvelle revue de Psychanalyse, 1990, N°41, p. 62 (repris sous une autre forme dans De la représentation, p. 299), dit que : « […] le lac central, inaltéré dont la surface calme reflète imperturbablement dans une immobile durée, les apparences des choses et des êtres en proie à l’instant […]. Figure de la théorie [et] image de la représentation, le lac renvoie à l’œil du peintre et du spectateur le regard apathique du tableau et en constitue le sujet en son lieu de contemplation ». Hors que chez Courbet, comme par renversement du sublime poussinien, le lac renvoie le tableau au regard apathique du peintre et du spectateur, dont l’œil est noyé dans le réel (ou son rendu perceptif) en attente de la parution des êtres et des choses.


62. Voir note 51 : adaptation de la conclusion de Paul Galvez, « Landscape and phenomenology » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 171 : « […] a kind of interstitial space, not part of any figure, but at the same time not mere background either. It plays the role of the in-between in all those landscapes […] where the center is empty and goes unnoticed. Most powerfully, it initiates a cleavage from within the fabric of the image. […] For the viewer […][a] ‘vague life’ transpires […] by attending to the area in-between forms, to what goes ‘unformed’ in the depths of Courbet’s landscapes […] ».


63. Si La Source à Fouras est relecture « sous les plateaux » du Bassin aux vipères(Le Château d’Ornans), il en va de même de La Source, relativement à celle d’Ingres et de sa Baigneuse Valpinçon. A la peinture image, miroir des apparences idéalement formées, Courbet répond par une peinture procès, informée d’un réel où elle puise la parution.


64. Hellénisation volontaire de Morphée (μορφεύς / μορφή), pour rendre à la fois le concept de forme, morphologie, l’état physiologique de retrait, amorphe, et la divinité du sommeil et des rêves (voir note 18). Morphée est par ailleurs engendré par Nyx (voir note 47 et la part de texte qui en est le renvoi).


65. André Berthelot, « Sur les origines de la source de la Loue » in Comptes-rendus de l'Académie des Sciences, Volume 12 class=reference-text>, pp. 394-397 ; confirmé par les expériences de Martel et Fournier (1910), voir Édouard-Alfred Martel, Nouveau traité des eaux souterraines.


66. Pour une histoire de l’eau de Salins et une étude de ses caractéristiques, voir Camille Laissus, Notice historique, physico-chimique et médicale sur les eaux thermales chlorurées de Salins, pp. 1-13.


67. Sur le discours positiviste du réalisme social, voir Chakè Matossian, Saturne et le sphinx, op. cit. , en particulier pp. 190-196 : « L’adoption de la philosophie pratique pythagoricienne devient la manière de transformer en conclusion nécessaire ce qui est énoncé d’un ton prophétique. L’avenir est splendide devant nous, déclare Proudhon [Du Principe de l’art et de sa destination sociale, op. cit. , p. 17], établissant une liste de constructions à effectuer pour la réalisation de cette splendeur à venir, entendue comme concrétisation des utopies de Fourier. En écrivant : un jour les merveilles prédites par Fourier seront réalisées [idem, p. 374], Proudhon […] annonce la réalisation prochaine des prédictions faites par un autre tout en cherchant à convaincre le lecteur qu’il se situe dans le champ de la démonstration ». Sur Proudhon et le positivisme, voir aussi notes 68 et 69.


68. Sur la notion de travail et les filiations entre Proudhon, Saint-Simon, Fourier, Comte et le positivisme, voir James H. Rubin, Réalisme et vision sociale, op. cit . , pp. 51-57, 113-119 et 132-133 : « Critiquant l’apriorisme, qui avait marqué l’éclectisme de Cousin et d’autres, Proudhon écrit dans   La Philosophie du progrès [p. 93] : Divin Platon, ces dieux que tu rêves n’existent pas. Il n’y a rien au monde de plus grand et plus beau que l’homme. Mais l’homme, sortant des mains de la nature, est misérable est laid : il ne devient sublime et beau que par la gymnastique, la politique, la musique, et surtout chose dont tu ne parais guère te douter, l’ascétique. (Par ascétique, il faut entendre ici l’exercice industriel, ou le travail réputé servile et ignoble chez les anciens). C’est à travers diverses formes d’activité naturelle, en particulier par le travail, que l’homme s’ennoblit […]. Car, avec le développement du travail, son produit s’approche toujours d’avantage de son type parfait. Et Proudhon d’apostropher Platon : Qu’est-ce que le Beau ? avant de répondre : Tu l’as dit toi-même : c’est la forme pure, l’idée typique du vrai. L’idée, en tant qu’idée, n’existe que dans l’entendement ; elle est représentée, réalisée avec plus ou moins de fidélité et de perfection, par la nature et l’art ». Citons encore Proudhon, Du Principe de l’art, op. cit. , pp. 190-192 : « l’art, devenu rationnel et raisonneur, critique et justicier, marchant de pair avec la philosophie positive, la pensée positive, la métaphysique positive […] ne peut plus être fauteur de tyrannie, de prostitution et de paupérisme ». De là Proudhon définit son positivisme en art comme vérité et observation, et énonce que l’art « travaille à la déification des hommes, tantôt par la célébration de leurs vertus et de leurs beautés, tantôt par l’exécration de leur laideur et de leurs crimes » (Philosophie du progrès, op. cit. , p. 94), citant en exemple Les Paysans de Flagey, auxquels ont pourrait ajouter d’autres scènes de travail de Courbet, comme Les Casseurs de pierre ou Les Cribleuses de blé. Ce sont pourtant les rares scènes de travail montrées par le peintre qui leur préfère un travail absent dans l’endormissement de La Fileuse (1853, Musée d’Orsay, Paris), un travail passif, avec ses pêcheurs devant les sources, un travail joueur tout au plus, dans les scènes de chasse ; voire l’absence de tout travail et intervention humaine dans la plus grande partie des paysages. Ici seule règne l’activité naturelle et non le travail, que Proudhon considère naïvement (tel que Marx le critiquera dans Misère de la philosophie) comme une « activité naturelle » (voir note 71). Chez Courbet, ne règne que la forme « naturelle », soit réelle et non « la forme pure, l’idée du vrai » ; la captation sensible du réel et non sa conceptualisation en idée. Le peintre n’a ni rationalité ni raison mais une pure perception qui à l’inverse noie la maîtrise raisonnable de l’ego ; il n’est ni critique ni justice mais l’affirmation de l’état de fait : l’homme, le travail, le moi n’est rien, seul ce gouffre qui avale et éjecte est. Et il n’est question ni de représentation ni de réalisation, s’agissant d’une présentation picturale, d’une parence (eidos, voir note 53) qui se constitue comme si la main de l’homme ne l’avait produit (acheiropoïète, voir note 55), de fait sans travail et hors toute réalisation.


69. Imaginée par Claude-Nicolas Ledoux en 1804, La Maison des Directeurs de la Loue (ou des Surveillants de la source de la Loue) pose à peine en contrebas de la résurgence un bâtiment en cylindre creux traversé par la cascade des eaux. Naturelle en amont, la chute des flots est domestiquée en aval, par cette architecture symétrique qui repose sur un socle en double gradin. La Vue Perspective présente ensuite un cours d’eau aux rives à priori naturelles, bordées de deux rustiques moulins et d’un pittoresque arbre. Pourtant ce cours apparaît singulièrement plat, et s’ouvrir sur une plaine qui ne correspond en rien au paysage de la source. Ou le site n’est pas à la source, mais bien plus bas, près d’Arc-et-Senans, ou Ledoux n’avait jamais vu la source (ou n’a que faire de l’avoir vue), se contentant d’une vue d’esprit du site, ou encore l’architecte avait pour vision d’aplanir à forces de gigantesques travaux le val de la Loue. Conservons un instant cette vision, pour observer sa Maison depuis le seul lieu où elle se donnera à voir, en aval et de dessous et cette fois de face. L’on verrait une chute d’eau juste naturalisée par quelques pierres tombées à son pied, chute canalisée en rayons quasi solaires, sortie d’un parfait anneau circulaire blanc. Cette pure forme architecturale se découpe sur la falaise bien plus sombre et a surtout pour effet de cacher le naturel gouffre noir de la résurgence. Ce cercle rayonnant renvoie à la grande métaphore néo-classique des rayons du regard et au dessin qu’en fit Ledoux, Le Théâtre de Besançon, coup d'œil (gravure de l’ouvrage L'Architecture considérée sous le rapport des arts, des mœurs et de la législation). Il a aussi pour effet de totalement domestiquer le monde naturel. Ainsi, du haut de la falaise, ce qui semble être les rayons naturels d’un soleil filtré par quelque végétation, tombe en courbes rais noirs, auxquels répondent les rais blancs de la cascade canalisée. Il s’agit de « surveiller », voire de « diriger » cette nature, en observant voire réglant son débit trop irrégulier pour un usage rationnel. La nature est menace, le travail réalise la nature et, la rendant utile, en produit l’ami de l’homme. De fait, ce positivisme voit dans le travail la fonction noble qui humanise le chaos du monde existant, en le réalisant.


70. Champleury sur les paysages de montagnes et de roches de Courbet, cité par Klaus Herding, « Traits de Lumières d’outre-Rhin » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 210.


71. Courbet choisirait ainsi la nature et, on le verra, le réel dans la confusion qu’entretient Proudhon entre travail et nature.  « Tout être, par cela seul qu’il existe, qu’il est une réalité, non un fantôme, une idée pure, possède en soi, à un degré quelconque, la faculté ou propriété, dès qu’il se trouve en présence d’autres êtres, d’attirer et d’être attiré, de repousser et d’être repoussé, de se mouvoir, d’agir, de penser, de produire, à tout le moins de résister, par son inertie, aux influences du dehors. Cette faculté ou propriété, on la nomme force. Ainsi la force est inhérente, immanente à l’être : c’est son attribut essentiel, et qui seul témoigne de sa réalité. Ôtez la pesanteur, nous ne sommes plus assurés de l’existence des corps. Or, les individus ne sont pas seuls doués de force ; les collectivités ont aussi la leur ». (Pierre-Joseph Proudhon, « Petit catéchisme politique, Du pouvoir social, considéré en lui-même » in De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise, p. 480).

La faculté d’attirer et d’être attiré est une force naturelle, comme l’est le repousser, le mouvoir, le résister. Par contre, l’agir, le penser, le produire ne sont pas forces naturelles de même statut, supposant une conscience et un vouloir. Le premier type de force peut concerner la pierre, l’eau, le cerf ou l’humain ; le second n’est qu’agir humain. Confondant ces forces, Proudhon naturalise le travail et humanise le réel. Ainsi, écrivant « être », il l’anthropologise et pense « homme », oubliant que les humains sont par leur faible masse nullement en capacité d’attirer ou d’être attiré, sinon en langage imagé : à savoir par leur volonté. Et de l’être humain, Proudhon de décliner l’individu, puis le collectif.

Courbet semble bien trier et choisir, ne conservant que la forme qui suit et que l’on peut nommer forces du réel, attribuant à « être » le recouvrement de tout ce qui est, au sens philosophique :« tout être, par cela seul qu’il existe, qu’il est une réalité, non un fantôme, une idée pure, possède en soi, à un degré quelconque, la faculté ou propriété, dès qu’il se trouve en présence d’autres êtres, d’attirer et d’être attiré, de repousser et d’être repoussé, de se mouvoir, à tout le moins de résister, par son inertie, aux influences du dehors. Cette faculté ou propriété, on la nomme force. Ainsi la force est inhérente, immanente à l’être : c’est son attribut essentiel, et qui seul témoigne de sa réalité. Ôtez la pesanteur, nous ne sommes plus assurés de l’existence des corps ».


72. Courbet, Lettre au Messager de l’assemblée, 19 novembre 1851, cité par Bertrand Tillier, « Un Utopiste à l’épreuve de la vie politique » in Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , p. 19, écrit : « M. Garcin me nomme le peintre socialiste ; j’accepte bien volontiers cette dénomination. Je suis non seulement socialiste, mais bien plus encore démocrate et républicain, en un mot partisan de toute la révolution, et par dessus tout réaliste ; mais ceci ne regarde plus Mr. Garcin c’est ce que je tenais à constater, car réaliste signifie ami sincère de la vraie vérité ». Ici encore, un regard sur le style littéraire particulier de Courbet éclaire quelque sens caché : du particulier nommé peintre socialiste, il généralise au démocrate, républicain, partisan de toute la révolution, avant, par-dessus tout, d’atteindre la plus grande généralisation : réaliste. Ecartant moqueusement celui qu’il prend à partie comme hors d’une si haute sphère, Courbet insiste : réaliste signifie ami sincère de la vraie vérité ; à savoir, philosophe.


73. Meyer Shapiro, « Courbet et l’imagerie populaire. Essai sur le réalisme et la naïveté » in Style, artiste et société, pp. 327-328.


74. James H. Rubin, Réalisme et vision sociale, op. cit . , p. 115.


75. Tel que l’écrit Bernard Vouilloux  du Chêne de Flagey, voir note 26 et la part de texte qui en est le renvoi.


76. Il peut y avoir chez Courbet une tendance à l’anthropomorphisme paysagé, tel que nettement exploité dans son Paysage fantastique aux rochers anthropomorphes (1865, Musée de Picardie, Amiens) et celui des Gorges de Saillon (1875, collection privée).


77. Voir Laurence des Cars, « Courbet paysagiste » in Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , p. 268 : « Ces peintures des profondeurs et des origines ne proposent aucune perspective, aucune régression d’échelle des motifs qui puisse creuser l’espace. Elles imposent au spectateur un mur de matière tactile et charnelle, et osent le noir irrésistiblement attirant et effrayant, en exergue central […]. L’obscurité dominante n’est pas seulement celle de la cavité, elle est aussi celle qui recouvre les fonds de toile de l’artiste et renvoie à une perception du monde venu de l’intérieur, de l’autre côté du miroir de la peinture » ; de l’autre côté du miroir des apparences du monde.


78. Voir Jacques Lacan, « Le Symbolisme, l’imaginaire et le réel » in Bulletin de l’association freudienne, N°1, pp. 4-13.


79. Gilbert Titeux, « L’Inquiétante étrangeté de certaines chasses franc-comtoises », in Courbet à neuf, op. cit. , p. 275. Il y parle des chasses et la citation complète est : « et si, du fait de son incompréhensibilité fondamentale, le réalisme – cynégétique du moins – de Courbet, c’était précisément cela : la tentative d’un peintre de représenter non pas la réalité, mais le Réel ? Le Réel, c’est-à-dire ce qui s’oppose à l’Imaginaire comme au Symbolique dans la fameuse topique lacanienne, et qui constitue ce qui reste impossible à symboliser, cet ailleurs du sujet chassant, cette réalité désirante qui s’exprime dans la chasse, mais qui reste inaccessible à toute pensée subjective. Ce Réel au fondement du réalisme de Courbet serait alors ce qu’on ne peut ni saisir, ni appréhender, et qui se définit d’abord à partir d’une limite du savoir : un impossible à rejoindre ». Titeux construit sur les chasses, mais il semble que son constat puisse être extensible à tous les paysages de Courbet. Chasse et peinture s’équivalent, dans leur désir de captation, leur réalisation prédatrice, et la réalisation advenue, face au cadavre, la déception : ce qui était désiré n’est pas ce qui fut capturé et néantisé ; ce qui conduit en cercle « vicieux »  à une reprise de la traque. Voir aussi note 86 et la part de texte qui en est le renvoi.


80. Jacques Lacan, Séminaire (1974-75), R. S. I., pp. 13-14.


81. Jacques Lacan, idem, p. 92. Lacan qui, en 1955, acheta avec Sylvia Bataille L’Origine du monde et la fit cacher non par un rideau mais par un panneau masque conçu par André Masson (Terre érotique, 1955, collection privée).


82. Ce derrière le support pictural a déjà été perçu comme signe dans L’Atelier où le mannequin sans vie semble pouvoir « regarder » le tableau depuis son revers : voir note 9 et la part de texte qui en est le renvoi. Voir aussi, cette fois à propos des Baigneuses (1863, Musée Fabre, Montpellier), Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , pp. 176-178 : « Les Baigneuses représentent une scène de regard : en l’occurrence, la baigneuse debout se montre d’un côté que nous ne pouvons voir – plus ou moins de face – à sa compagne assise […]. Et si nous adaptons aux Baigneuses une notion d’abord avancée à l’égard du groupe central de L’Atelier et voyons dans la baigneuse debout une synecdoque de la peinture considérée dans son ensemble, il s’ensuit que Les Baigneuses suggèrent une relation à l’œuvre elle-même, dont nous ne verrions que l’envers, et un spectateur qui la voit non pas de notre côté de la surface du tableau mais de l’autre côté, qui serait alors l’endroit de la toile ». La topologie ici décrite est celle de Bouteille de Klein, jouant de l’envers et de l’endroit, à considérer à rebours (voir note 45). Ainsi la main de cette baigneuse semble par ailleurs aller appuyer sur la toile, indiquant par ce geste un sombre arrière toile allant jusqu’au revers, geste qui, A regarder […] de l’autre côté – pour reprendre le titre d’une œuvre de Marcel Duchamp (1918, Museum of Modern Art, New York), serait non un geste qui dit l’appui, mais un interdit : noli me tangere ; ou un inter-dit lacanien : ce qui dit entre, outre la défense de l’entre, ici l’espace pictural d’une représentation sur toile plane.


83. Maxime Du Camp, Les Convulsions de Paris, T. II, pp. 263-264, cité par Dominique de Font-Réaulx, « Le Nu, la tradition transgressée » in Gustave Courbet, catalogue, op. cit. , p. 380.


84. On notera que les paroles de Du Camp sont révélatrices de son mépris affiché de Khalil-Bey, qu’il ne veut nommer, n’affichant son identité qu’en collant les statuts économiques et religieux (à l’époque des lignes, Khalil-Bey, dont on peut douter qu’il était pratiquant, était ruiné). Ce mépris efface l’autre, son appartenance à la diplomatie ottomane, sa noblesse et son intérêt culturel pour les œuvres occidentales. De même, son aveuglement touche l’altérité du renouvellement courbésien de la peinture française et son incompréhension du réalisme, au point qu’il le confonde à l’idéalisme des italiens, dont la seule réalité est d’avoir été reconduit « en même » par l’art néo-classique, faisant ainsi effet de vérité du modèle. C’est cette attitude consistant à croire pouvoir s’élever au-dessus de ce qui est qui empêche Du Camp de voir ce qui est peint, de comprendre cette advenue de l’altérité qu’ouvre L’Origine du monde.


85. Ainsi à Du Camp, qui semble n’avoir aussi aucune considération pour le fond philosophique des « charcuteries » de Sade, on peut opposer Lacan : « pour qui est encombré du phallus, qu’est-ce qu’une femme ? C’est un symptôme. C’est un symptôme et ça se voit, ça se voit de la structure là que je suis en train de vous expliquer. Il est clair que s’il n’y a pas de jouissance de l’Autre comme telle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de garant rencontrable dans la jouissance du corps de l’Autre qui fasse que jouir de l’Autre comme tel ça existe, ici est l’exemple le plus manifeste du trou, de ce qui [ne] se supporte que de l’objet a lui-même, mais par maldonne, par confusion. Une femme, pas plus que l’homme, n’est un objet a ». (Jacques Lacan, R. S. I., op. cit. , pp. 64-65). Il est aussi à noter que si pour l’artiste et  son collectionneur, Le Sommeil de Courbet (1866, Musée du Petit Palais, Paris) pouvait faire pendant au Bain turc d’Ingres (1862, Musée du Louvre, Paris), L’Origine fait plutôt réponse : l’oculus du Bain fait croire que nous voyons la scène à travers quelque œilleton, en pur voyeur accédant, caché, à la visibilité ; le rideau de L’Origine averti d’emblée que la question sera non celle du visible, mais du visuel ; des conditions de la visibilité – ou de son impossibilité.


86. Lacan avait par ailleurs un terme pour l’ordure : palea, qui s’oppose à l’agalma, dans l’incessante recherche, à jamais atteignable de l’objet a ; voir sur ces aspects Jacques Lacan, L’Angoisse, pp. 204 sqq. On peut, à ce stade, relire la note 79 où, suite à Gilbert Titeux, s’établit l’équivalence entre chasse et peinture. Au désir de captation de l’objet a, sa quête de l’agalma, et l’objet partiel comme réalisation advenue, suit la déception : ce qui était désiré n’est pas ce qui fut capturé et néantisé, le palea du cadavre ou de la peinture achevée ; ce qui conduit en cercle « vicieux »  à une reprise de la traque, que ce soit celle de rechasser, de repeindre ou de regarder. L’Origine se referme ainsi en trou sur elle-même et referme le regard en trou sur lui-même. En ce sens, le dialogue ambigu que Marcel Duchamp entretint avec Courbet trouve bien une résolution dans Etant donnés 1°La chute d’eau 2°Le gaz d’éclairage (1968, Philadelphia Museum of Art) : entré par le trou d’un œilleton de porte, le regard se heurte à un trou sexué et est renvoyé au trou du regard (malgré la vivacité d’un bec auer et le frémissement d’une cascade qui s’offrent à sa vue). Voir aussi notes 88 et 91.


87. Hors le mépris affiché par Du Camp, le nécessaire rapport de l’artiste à l’argent, dès le moment où il n’est plus « un monsieur plus ou moins à la solde d’un roi ou d’un empereur, ou même d’un groupe de collectionneurs » (Marcel Duchamp, à propos de Courbet, Entretien avec Alain Jouffroy, p. 11), est largement explicitée par l’artiste dans sa correspondance. Sur ce sujet, qui à cause de la soi-disant intégrité politique que l’on devrait à un artiste « réaliste », fait condamner son rapport à la plus simple économie, soit à la survie, voir entre autre Jérôme Poggi, « Le Réalisme économique de Gustave Courbet » in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 227-244.


88. Pour le plan de l’appartement de Khalil-Bey, voir les Archives de Paris, D1 D4 1114-3, rue Taitbout (9e arr.), 1862. L’occultation derrière le mur annonce bien la paroi muséale sur laquelle se présente la porte de grange munie de deux œilletons conçue par Marcel Duchamp pour Etant donnés (voir note 86), comme anticipant la visibilité qui allait advenir à L’Origine du monde, lorsque léguée par dation à la République française, elle s’expose non doublement cachée mais doublement encadrée,  au mur du Musée d’Orsay. Il est révélateur de mettre en rapport la fonction du voile selon Lacan et la question benjaminienne de l’aura : « on peut même dire  qu’avec la présence du rideau, ce qui est au-delà comme manque tend à se réaliser comme image. Sur le voile se peint l’absence […]. Le rideau, c’est, si l’on peut dire, l’idole de l’absence » (Jacques Lacan, La Relation d’objet, p.155). Et Benjamin : « la production artistique commence par des images qui servent au culte. On peut supposer que l’existence même de ces images a plus d’importance que le fait même qu’elles sont vues […]. Cette image est certes exposée aux regards de ses semblables, mais elle est destinée avant tout aux esprits. Aujourd’hui, la valeur cultuelle en tant que telle semble presque exiger que l’œuvre d’art soit gardée au secret […]. A mesure que les différentes pratiques artistiques s’émancipent du rituel, les occasions deviennent plus nombreuses de les exposer […], [la] valeur d’exposition lui assigne des fonctions tout à fait neuves, parmi lesquelles il se pourrait bien que celle dont nous avons conscience – la fonction artistique – apparaisse par la suite comme accessoire ». (Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (dernière version de 1939) » in Œuvres III, pp. 283-285). Ainsi exposée à Orsay, L’Origine apparaît aujourd’hui, en un premier temps, dans un refus de l’altérité, pornographique, comme elle le fut pour Du Camp ; puis rapidement dans un système de conformité au « même », elle n’est plus qu’un phénomène culturel. Pour en retrouver le sens que Courbet, Khalil-Bey, puis Lacan y trouvaient il faudrait la revoiler, lui redonner un sens cultuel, aussi profane soit-il ; ce que fit Duchamp avec Etant donnés.


89. Tous les témoignages de l’époque évoquent un rideau au singulier. Il semble logique que Khalil-Bey tire ce rideau unique de sa main droite, tournant le dos à ses invités. L’Origine se dévoilerait de fait de droite à gauche.


90. Bernard Vouilloux, « Les Beaux morceaux de M. Courbet » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 189.


91. Ainsi, L’Origine appelle les toiles fendues au cutter de Lucio Fontana (à l’exemple de Waiting, 1960, Tate) ; actes assez vulgaires, parce que trop simples dans leur immédiate radicalité ; ou la question desMoules chez Marcel Duchamp, alors qu’il concevait La Mariée mise à nu par ses célibataires, même ou Grand verre (1915-23, Philadelphia Museum of Art), par ailleurs transparent, donc à vision réversible, mais dont les aspects dicibles et concevables, proposés par le mode d’emploi annexé de La Boîte verte (1934, multiple dont un au Centre Pompidou, Paris)  échappent à tout entendement logique.


92. Paul-Louis Robert, « Les Empreintes photographiques de Gustave Courbet » in Courbet à neuf, op. cit. , p. 120, rappelle que Baudelaire, dans « Le Public moderne et la photographie », op. cit. , regrette « la disparition, chez l’artiste moderne de […] la reine des facultés, l’imagination » ; Courbet répond et dépasse la critique baudelairienne : ce n’est pas l’absence d’imagination mais l’inimaginable qui ressort de L’Origine du monde. Michael Fried, Le Réalisme, op. cit. , a une juste description de ce privatif par débordement de l’imaginaire lorsqu’analysant, pp. 64-67 les Autoportraits ou p. 129 sqq. L’Enterrement, il constate l’analogie entre inimaginable et débordement pictural au seuil des images. Ce que Fried n’analyse pas est que L’Origine est manifeste non d’un débordement mais d’une clôture, qui nous empêche de voir un externe de l’image, qui plus est de l’imaginer ; et d’un engouffrement, qui attire non pas hors image mais en elle, l’outrepassant en trou, dans un en deçà qui est l’inimaginable.


94. L’idée d’opposition suivie ici est un chiasme très héraclitéen. Notons que Proudhon, qualifié en son temps de nouvel Héraclite, fait appel à la notion de mouvement et de dynamisme contradictoire de la nature comme force. Sur ce sujet, voir Chakè Matossian, Saturne et le sphinx, op. cit. , pp. 65-66. Sur le monstre et la notion de daimon, idem, pp. 147-148.


95. Est entendu par ontologie sa définition philosophique contemporaine : « partie de la philosophie qui a pour objet l'élucidation du sens de l'être considéré simultanément en tant qu'être général, abstrait, essentiel et en tant qu'être singulier, concret, existentiel » (CNTRL, op. cit.).


96. Vagues qui connaissent de nombreuses variantes et copies, nécessité économique oblige (voir note 87).


97. Cette vue de tiers de la vague se brisant pourrait être inspirée par le modèle d’Hokusai (La Grande Vague de Kanagawa, 1830-31, multiple dont un exemplaire au Musée Guimet, Paris), estampe largement médiatisée à Paris, peut-être dès 1856 par Bracquemond, mais dont on ne sait si Courbet avec connaissance.


98. D’après Jacques Derrida, Mémoires d'aveugle, p. 48. On peut aussi renvoyer à ce commentaire, d’Elena Terblom, L’Ourlet de la chose : « je me disais que quelque chose restait inaccessible, irreprésentable, et que c'était ce quelque chose qui m'intéressait. Cela, ce sans-nom n'avait rien de spirituel, de transcendant ou de divin, il n'avait rien à voir avec un Dieu, et pourtant il était invisible - mais ce mot-là, invisible, ne convenait pas. C'était un machin, un truc, Zeug comme on dit en allemand. J'aurais pu renoncer à le désigner […], je voulais des mots, et je continuais à buter sur ce problème de vocabulaire. […] Bien sûr, je comprenais la contradiction. Pourquoi chercher un mot pour désigner l'innommable ? Mais je ne renonçais pas. Je n'arrêtais pas d'y penser jusqu'à la répugnance, au dégoût - et c'est probablement ça, le dégoût, qui m'a permis d'avancer. Le dégoût est proche de ce que je cherche, il est tout à fait au bord du langage. Il est tout-autre, aux limites de l'artChose, en ce point qu'aucun savoir, aucun logos ne peut appréhender ».


99. Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , p. 145.


100. Friedrich Nietzsche, Nachgelassene Fragmente, Ende 1870–April 1871, NL11[1]7.351.


101. Guy de Maupassant, « La Vie d’un paysagiste » in Revue Gil Blas du 20 septembre 1886.


102. Paul Cézanne, propos rapportés par Joaquim Gasquet, « Ce qu’il m’a dit » in Conversations avec Cézanne, p. 144.


103. Voir Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , pp. 143-144 : « Nous avons enfin vu la mer, la mer sans horizon (que c’est drôle pour un habitant du vallon) [Courbet, lettre à ses parents, été 1841]. Sans horizon, la mer ? Ne découvre-t-on pas au contraire l’horizon terrestre à sa surface ? Courbet énoncerait-il ici une évidente contre vérité ? Certes, la mer dessine l’horizon terrestre, mais en soi elle n’a pourtant pas de limites, parce qu’elle outrepasse celles de notre regard ; en ce sens elle apparaît bien sans horizon pour nous […] son absence d’horizon pour nous la définit bien en soi ».


104. Jean Paul Sartre, La Nausée, pp. 178-185. Existentialiste, Courbet ? Voir à ce propos note 56. Les racines du marronnier appellent en tous les cas un paysage de gouffre tardif de Courbet, Le Vieil arbre dans une gorge (1872, Musée cantonal des beaux-arts, Lausanne). Ces racines s’agrippent comme une glu à la roche, arrachant l’arbre ployant à l’obscurité du gouffre, montrant que « l’existence est un fléchissement » (Sartre, idem, p. 180).


105. Réécriture de Maurice Blanchot, Thomas l’Obscur, op. cit. , pp. 15-18, voir note 56 et la part de texte qui en est le renvoi.


106. Elena Terblom, L’Ourlet de la chose, op.cit.


107. Mais Courbet écrit à Castagnary, le 18 janvier 1864, cité par Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , p. 112 : « Si on pouvait expliquer les tableaux, les traduire en parole, il n’y aurait pas besoin de les peindre ».


108. Maurice Merleau-Ponty, L’Œil et l’esprit, pp. 81 et 85-86. Cet appel est construit par le lien tissé entre Courbet et la phénoménologie par  Paul Galvez, « Landscape and phenomenology » in Courbet à neuf, op. cit. , pp. 165-172, qui cite à plusieurs reprises Merleau-Ponty.


109. Sur la réception contemporaine à Courbet relativement à la photographie, voir notes 30 à 33 et la part de texte qui en est le renvoi. On peut y répondre avec Maurice Merleau Ponty, L’Œil et l’esprit, op. cit. , p. 80, que « la photographie maintient ouverts les instants que la poussée du temps referme aussi tôt, elle détruit le dépassement, l’empiétement, la métamorphose du temps, que la peinture rend visibles au contraire ».


110. Neutre, au sens de Maurice Blanchot, voir note 55.


111. Maurice Merleau-Ponty, Signes, p. 21.


112. Rétentif, voir note 59. Capter et retenir, à savoir : capter, du dehors au dedans ; retenir, de dedans à dedans ; et l’acte manquant et de dedans à dehors. Soit : ce qui s’affirme comme existant chez l’existé peut exister en l’existé ; mais en aucun cas l’existé ne peut aller positivement vers ce qui s’affirme. Remis en un autre langage : ce qui s’affirme de l’Etre chez l’étant peut être en tant qu’être étant ; mais en aucun cas cet être étant ne peut aller positivement vers l’Etre. L’approche ne peut-être que négative, par le manque, le trou, l’absence ou l’irreprésentable, derrière toile, outre-monde – dans ce creux de la peinture qui a été ici traqué.


113. Jacques Derrida, L'Ecriture et la différence, p. 317. Derrida développe la question d’un serrage par frayage de l’invisibilité, en particulier dans Mémoires d’aveugle, op. cit.


114. Voir, entre autres, Jean-Luc Marion, « La Certitude de Cézanne » in Courbet, op. cit. , pp. 159-196. Certes Cézanne semble reprendre le « trou noir » de Courbet pour en faire naître sa « vérité en peinture », mais ce en développant, par dessus l’obscur, la surface phénoménologique du visible, annonce d’une structure formelle sans en deçà. Le cubisme se fourvoiera dans ce qui s’énoncera comme un formalisme, élaborant une structure plastique et une grammaire des apparences graphiques ; bien loin de la question de l’Etre tel que le trou courbésien l’ouvre.


115. A propos de sa Composition suprématiste : quadrangle blanc sur fond blanc (1918, Museum of Modern Art, New York), Malevitch écrira : « [la] volonté [de l’artiste est] enfermée entre les murs des surfaces esthétiques au lieu d’une pénétration philosophique [...]. J’ai troué l’abat-jour des limitations colorées, je suis sorti dans le blanc, voguez à ma suite […] dans l’abîme […]. J’ai vaincu la doublure du ciel coloré après l’avoir arrachée, j’ai mis les couleurs dans le sac ainsi formé et j’y ai fait un nœud. Voguez ! L’abîme libre blanc, l’infini sont devant vous » (Kasimir Malevitch, « Le Suprématisme » in Catalogue de l’exposition non figuration et suprématisme).


116. Positiviste et utopiste, Malevitch enferme la question dans un sac (voir note 115) et nous expose le reste, mais où demeure le sac ? Courbet nous présente ce sac pour nous y enfermer et nous a-expose la question : de l’abîme noire, où est le libre blanc infini ? Ainsi, moins hégélien, ce que Courbet « présente, ce ne sont pas les idées de la raison, mais le chaos, l’abîme, le sans fond, à quoi il donne forme. Et par cette présentation, il est fenêtre sur le chaos, il abolit l’assurance tranquillement stupide de notre vie quotidienne, il nous rappelle que nous vivons toujours au bord de l’abîme » (Cornelius Castoriadis, « La Culture dans une société démocratique » in La Montée de l’insignifiance, p. 202).


117. Heideggerien, peut-être ? voir note 56 ; ce avec les concepts de monstration, laisser voir et sous regard de Martin Heidegger, Sein und Zeit, § 7, « das Sich-an-ihm-selbst-zeigende » (« ce-qui-se-montre-en-lui-même », ainsi traduit par Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , p. 194) et Remarques sur art-sculpture-espace : « Mais que veut dire plus philosophique  ? Philosophique est le laisser-voir qui met sous le regard l’essentiel des choses ».


118. Le rapprochement avec Rothko s’impose et surtout éclaire la tentative de Courbet : les […] bandes comblent l’espace avec une extrême simplicité de moyens, libérant un horizon à la fois vide (de détails, de silhouettes, d’incidents) et saturé (de couleurs […] ) ». Jean-Luc Marion, Courbet, op. cit. , p. 145.


119. En opposition totale à Michael Fried, Le Réalisme, op. cit., p. 236 (voir note 52), il faudrait écrire : même si Courbet fut un maître dans l’art de peindre des figures, il ne fut pas essentiellement peintre de figures mais paysagiste : le sens de ses peintures de figure n’apparaît tout à fait qu’en regard de ses paysages. Et laisser la phrase de Fried intacte pour Giacometti : «  il ne fut pas essentiellement paysagiste mais peintre de figures : le sens des paysages [(par exemple Landschaft bei Stampa, 1952, Bünder Kunst Museum, Coire), natures mortes ou dessins d’intérieur] n’apparaît tout à fait qu’en regard de ses peintures [et sculptures] de figures ».


120. Décrire Giacometti comme une « sorte de rocher gris et large, hirsute, horripilé, terrifié ; terrifié par sa force, sa dureté, terrifié par sa stupeur, terrifié par la nuit, par ses rêves et les apparitions de formes grêles et menaçantes autour de lui » (Francis Ponge, Réflexions sur les statuettes, figures et peintures d’Alberto Giacometti), est le saisir tout à l’inverse de l’ample, gros, gras, vulgaire Courbet. Il en va de même des sculptures, ramenées à leur âme de fer, au squelette (voir Paola Carlotta, Monsieur Giacometti, je voudrais vous commander mon buste, pp. 56-60), à opposer aux masses grasses maçonnées par Courbet. Inverses sont la capacité de trouver de Courbet et la hantise de rater chez Giacometti, l’ajout et la suppression ; comme sont aussi opposées les combes jurassiennes et les pics grisons. (NB : l’auteur est familialement doté de ces double lieux d’origine).

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L’Après-dînée à Ornans, 1849, huile sur toile, 195 x 257 cm, Musée des beaux-arts, Lille

L’Atelier du peintre, allégorie réelle déterminant une phase de sept années de ma vie artistique, 1855, huile sur toile, 361 x 598 cm, Musée d’Orsay, Paris

Les Baigneuses, 1863, huile sur toile, 227 x 193 cm, Musée Fabre, Montpellier

Ill.27, La Cascade de Staubbach, en Suisse vers 1840, mine de plomb sur papier, 10 x 14 cm, Musée du Louvre, Paris

Les Casseurs de pierre, 1849, huile sur toile, 165 x 257 cm, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde, détruit en 1945

Le Cerf à l’eau, Chasse à courre ou Le Cerf forcé, 1861, huile sur toile, 280 x 275 cm, Musée des Beaux Arts, Marseille

Ill.16, Les Cerfs dans un paysage neigeux, 1867, huile sur toile, 74 x 61 cm, Galerie Daniel Malingue, Paris

Le Château d’Ornans ou Fontaine d’Ornans, Bassin aux vipères, 1850, huile sur toile, 82 x 117 cm, Institute of Arts, Minneapolis

Ill.5, Le Chêne de Flagey, 1864, huile sur toile, 89 x 110 cm, Musée Courbet, Ornans

Ill.23, Le Creux Billard, paysage rocheux, mine de plomb sur papier, avant 1848, 14 x 22 cm, folio 29 verso de l’album Gustave Courbet 2, Musée du Louvre, Paris

Les Cribleuses de blé, 1854, huile sur toile, 131 x 167 cm, Musée des beaux-arts, Lille

La Curée, 1856, huile sur toile, 210 x 184 cm, Museum of Fine Arts, Boston

Ill.24, La Dame verte, vers 1840, mine de plomb sur papier, 14 x 22 cm, folio 10 recto de l’album Paysage rocheux, Musée du Louvre, Paris

Ill.22, Défilé rocheux dans la vallée de Lauterbrunn, en Suisse, vers 1840, mine de plomb sur papier, 10 x 14 cm, folio 17 verso de l’album Gustave Courbet 1, Musée du Louvre, Paris

Les Demoiselles du village, 1852, huile sur toile, 195 x 261 cm, Metropolitan Museum of Art, New York

Ill.7, Le Doubs à la Maison Monsieur, 1875, huile sur toile, 61 x 50 cm, collection privée

Ill.30, Entrée d’un gave, 1876, huile sur toile, 45 x 59 cm, Birmingham Museum of Art

La Fileuse, 1853, huile sur toile, 89 x 117 cm, Musée d’Orsay, Paris

Le Fou de peur, 1843-45, huile sur toile, 60 x 50 cm, Nasjonalmuseet, Oslo

Gorges de Saillon, 1875, huile sur toile, 42 x 33 cm, collection privée

Ill.4, Le Gour de Conche, 1864, huile sur toile, 74 x 60 cm, Musée des beaux-arts et d’archéologie, Besançon

Ill.51, Le Grammont, bord du lac Léman, vers 1876, huile sur toile, 46 x 38 cm, collection privée

Ill.52, Grand panorama des Alpes, 1876, huile sur toile, 64 x 140 cm, Musée d’art et d’histoire, Genève

Ill.40, La Grotte Sarrazine, 1864, huile sur toile, 50 x 60 cm, J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Ill.39, La Grotte Sarrazine, 1864, huile sur toile, 46 x 55 cm, Musée municipal, Lons-le-Saunier

L’Homme à la ceinture de cuir, 1845-47, huile sur toile, 105 x 81 cm, Musée d’Orsay, Paris

L’Homme au cœur blessé, 1844-54, huile sur toile, 82 x 98 cm, Musée d’Orsay, Paris

L'Origine du monde, 1866, huile sur toile, 46 x 55 cm, Musée d'Orsay, Paris

Ill.12, Paysage au cheval mort, 1855-59, huile sur toile, 45 x 56 cm, Musée de l’Hermitage, St. Petersburg

Ill.28, Paysage avec cascade, vers 1850, mine de plomb sur papier, 17 x 27 cm, folio 2 recto de l’album Gustave Courbet 3, Musée du Louvre, Paris

Ill.29, Paysage avec rochers et chute d'eau, 1872, huile sur toile, 61 x 73cm, Rijksmuseum Amsterdam

Ill.50, Paysage d’hiver avec les Dents du Midi, 1876, huile sur toile, 74 x 101 cm, Kunsthalle Hambourg

Ill.17, Paysage d’hiver, La Gorge aux loups, 1870-72, huile sur toile, 60 x 73 cm, collection privée

Ill.9, Paysage de Chauveroche dans les Vaux d’Ornans, 1864, huile sur toile, 81 x 100 cm, collection particulière, Besançon

Ill.15, Paysage de neige dans le Jura, avec chevreuil, 1866, huile sur toile, 60 x 76 cm, Musée d'Art moderne, Troyes

Ill.6, Paysage de rocs près d'Ornans, 1855-60, huile sur toile, 65 x 81 cm, Akademie der bildenden Künste, Vienne

Ill.11, Paysage rocheux avec figure, 1865, huile sur toile, dimensions inconnues, collection privée

Les Paysans de Flagey revenant de la foire, 1850, huile sur toile, 206 x 275cm, Musée des beaux-arts, Bezançon

Portrait de l’artiste à Saint-Pélagie, 1872-73, huile sur toile, 92 x 72 cm, Musée Courbet, Ornans

Portrait de Mme de Brayer, 1858, huile sur toile, 91 x 73 cm, Metropolitan Museum of Art, New York

Ill.25, Les Promeneurs se reposant sous un abri rocheux, vers 1864, mine de plomb sur papier, 10 x 14 cm, folio 2 verso de l’album Paysage des Voges, Musée du Louvre, Paris

Proudhon et ses enfants, 1865, huile sur toile, 147 x 198 cm, Musée du Petit Palais, Paris

Ill.1, Le Puits-Noir, 1860-65, huile sur bois, 65 x 81 cm, Baltimore Museum of Art

Ill.14, Remise des chevreuils, au ruisseau de Plaisir-Fontaine, 1866, huile sur toile, 174 x 209 cm, Musée d’Orsay, Paris

La Rencontre, 1854, huile sur toile, 129 x 149 cm, Musée Fabre, Montpellier

Retour de la Conférence, 1863, huile sur toile, 230 x 330 cm, détruit vers 1864

Ill.10, La Roche pourrie, 1864, huile sur toile, 60 x 73 cm, Musée Max Claudet, Salins-les-Bains

Ill.8, Le Rocher à Bayard, à Dinant, 1857-68, huile sur toile, 55 x 46 cm, The Fitzwilliam Museum, Cambridge

Ill.2, Le Ruisseau couvert, 1865, huile sur toile, 94 x 135 cm, Musée d’Orsay, Paris

Ill.3, Le Ruisseau de Plaisir-Fontaine dans La Vallée du Puits Noir, 1864, huile sur toile, 81 x 100 cm, collection privée

Ill.13, Le Rut de printemps ou Combat de cerfs, 1861, huile sur toile, 355 x 507 cm, Musée d'Orsay, Paris.

Le Sommeil, 1866, huile sur toile, 135 x 200 cm, Musée du Petit Palais, Paris

Ill.32, La Source, 1868, huile sur toile, 128 x 97 cm, Musée d’Orsay, Paris

Ill.31, La Source à Fouras (Un peintre et son modèle), 1863, huile sur toile, dimensions non connues, Musée des beaux-arts de Budapest

Ill.37, La Source de la Loue, 1864, huile sur toile, 107 x 138 cm, Albright-Knox Art Gallery, Buffalo

Ill.34, La Source de la Loue, 1864, huile sur toile, 97 x 130 cm, Kunsthalle Hambourg

Ill.35, La Source de la Loue, 1864, huile sur toile, 84 x 104 cm, Kunsthaus Zurich

Ill.36, La Source de la Loue, 1864, huile sur toile, 100 x 142 cm, Metropolitan Museum of Art, New York

Ill.33, La Source de la Loue, 1864, huile sur toile, 98 x 130 cm, National Gallery of Art, Washington

Ill.42, La Source du Lison, 1864, huile sur toile, 91 x 73 cm, collection privée

Ill.41, La Source du Lison, 1866, huile sur toile, dimensions non connues, collection privée

Ill.21, Les Sources du Lison, avant 1848, mine de plomb sur papier, 14 x 22 cm, folio 30 recto de l’album Gustave Courbet 2, Musée du Louvre, Paris

Le Tableau de figures humaines, historique d'un enterrement à Ornans, 1850, huile sur toile, 315 x 668 cm, Musée d’Orsay, Paris

La Toilette de la morte, 1850-55, huile sur toile, 188 x 252 cm, College  Museum of Art, Northampton

Ill.26, Trois paysages de campagne, avant 1848, mine de plomb sur papier, 15 x 23 cm, folio 24 verso de l’album Gustave Courbet 2, Musée du Louvre, Paris

Ill.20, Les Trois truites de la Loue, 1872, huile sur toile, 116 x 87 cm, Kunsthaus, Berne

La Trombe, 1866, huile sur toile, 43 x 56 cm, Museum of Art, Philadelphia

Ill.19, La Truite de la Loue, 1871, huile sur toile, 53 x 87 cm, Kunsthaus Zurich

Ill.18, La Truite de la Loue, 1873, huile sur toile, 99 cm x 66 cm, Musée d’Orsay, Paris

Ill.47, La Vague, 1867-69, huile sur toile, 144 x 112 cm, Alte Nationalgalerie, Berlin

Ill.48, La Vague, 1869-70, huile sur toile, 56 x 91 cm, Dallas Museum of Art

Ill.44, La Vague, 1870, huile sur toile, dimensions non connues, collection privée

Ill.43, La Vague, 1870, huile sur toile, 80 x 100 cm, Museum Oskar Reinhart, Winterthur

Ill.49, La Vague, 1872, huile sur toile, 54 x 73 cm, National Gallery of Victoria, Melbourne

Ill.45, La Vague, 1875-77, huile sur toile, 54 x 65 cm, collection privée

La Vallée de la Loue par ciel d’orage, 1849, huile sur toile, 54 x 65 cm, Musée des beaux-arts, Strasbourg

Le Vieil arbre dans une gorge, 1872, huile sur toile, 92 x 74 cm, Musée cantonal des beaux-arts, Lausanne


Autres œuvres :

Cham, P-J. Saturne dévorant ses enfants (Caricature de P-J. Proudhon), gravure, 18 x 26 cm, Collection de Vinck, Un siècle d’histoire de France par l’estampe, 1770-1870, Vol. 115 (pièce 14475), République de 1848, Bibliothèque nationale de France, Paris/p>

Duchamp, Marcel, A regarder d’un œil (l’autre côté de verre) , de près, pendant presque une heure (Le Petit verre), 1918, techniques mixtes sous verre monté sur châssis d’aluminium, 51 x 41 x 4 cm, Museum of Modern Art, New York

Duchamp, Marcel, La Boîte verte, 1934, fac-similé de manuscrits sur papier dans un coffret cartonné, 28 x 33 x 2 cm, multiple, dont un exemple au Centre Pompidou, Paris

Duchamp, Marcel, Etant donnés 1° La chute d’eau 2° Le gaz d’éclairage, 1915 (?) - 68, installation de techniques mixtes derrière mur et porte munie d’œilletons, 153 x 111 x 300 cm, Museum of Art, Philadelphie

Duchamp, Marcel, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (Le Grand verre), 1915-23, techniques mixtes sous verre monté sur châssis d’aluminium, 278 x 176 x 7 cm, Museum of Art, Philadelphie

Duchamp, Marcel, Neuf moules à malic, 1914-15, techniques mixtes sous verre monté sur châssis d’aluminium, 66 x 101 x 4 cm, Centre Pompidou, Paris

Fontana, Lucio, Spatial concept « Waiting », 1960, toile vierge lacérée au cutter, 93 x 73 cm, Tate Modern, Londres

Ill.55, Giacometti, Alberto, Annette (Nu debout), 1957, huile sur toile, 92 x 63 cm, Kunstmuseum, Bâle

Giacometti, Alberto, Landschaft bei Stampa (Maloja), 1952, huile sur toile, 55 x 73 cm, Büdner Kunst Museum, Coire

Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa (神奈川沖浪裏, Sous la vague au large de Kanagawa), estampe, 26 x 38 cm, multiple, dont un exemplaire au Musée Guimet, Paris

Ingres, Jean-Auguste Dominique, Le Bain turc, 1862, huile sur toile, diam. 108 cm, Musée du Louvre, Paris

Ingres, Jean-Auguste Dominique, La Source, 1820-56, huile sur toile, 163 x 80 cm, Musée d’Orsay, Paris

Le Laocoon, antique hellénistique, retouché par l’atelier de Michel-Ange, -300 à 1525, marbre 242 x 160 x 100 cm, Museo Pio-Clementino, Vatican

Ill.38, Ledoux, Claude-Nicolas, Maison des directeurs de la Loue, vue perspective, coupe et élévation, 1804, gravure, planche 6 de L'Architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation, Musée Claude-Nicolas Ledoux, Saline royale, Arc-et-Senans

Ledoux, Claude-Nicolas, Le Théâtre de Besançon, coup d’œil, 1804, gravure, planche de L'Architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation, Musée Claude-Nicolas Ledoux, Saline royale d'Arc-et-Senans

Malevitch, Kasimir, Composition suprématiste : quadrangle blanc sur fond blanc, huile sur toile, 79 x 79 cm, Museum of Modern Art, New York

Ill.53, Malevitch, Kasimir, Quadrangle noir sur fond blanc, 1915, huile sur toile, 80 x 80 cm, Galerie Tretyakov, Moscou

Masson, André, Terre érotique, 1955, huile sur bois, 46 x 55 cm, collection privée

Poussin, Nicolas, Paysage d’orage avec Pyrame et Thisbé, 1651, huile sur toile, 192 × 273 cm, Städel Museum, Francfort

Ill.46, Randon, Gustave, Une Trombe « Audaces tromba juvat », gravure, 1867, Paris, Le Journal amusant, reproduite dans Léger, Charles, Courbet selon les caricatures et les images, Paris, Rosenberg, 1920, p. 72

Ill.54, Rothko, Mark, White, Blacks, Grays on Maroon, 1963, huile sur toile, 227 x 175 cm, Kunsthaus, Zurich

Le Torse du Belvédère, antique hellénistique signé Apollonios, fils de Nestor, vers -100, marbre, env. 160 x 100 x 100 cm, Museo Pio-Clementino, Vatican

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Christian Perret 2016